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La bibliothèque idéale d’Amin Maalouf


Amin Maaalouf évoquant les dix livres qu’il emporterait sur une île déserte.


Débat Le mois dernier, Amin Maalouf a parrainé le festival Littérature et Journalisme à Metz. Un retour aux sources en Lorraine.
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L’auteur franco-libanais Amin Maalouf, qui occupe à l’Académie française depuis près d’un an le fauteuil de l’ethnologue Claude Lévi-Strauss, dont il dit «j’ai beaucoup adhéré à sa vision du monde, à un monde qui ne peut pas être vu uniquement d’un seul point de vue», a présenté dans une médiathèque messine les dix livres qu’il emporterait sur une île déserte.


«On ne lit jamais un livre. On se lit à travers les livres, soit pour se découvrir, soit pour se contrôler.» C’est en ayant à l’esprit cette phrase de Romain Rolland que j’ai assisté à cet exercice. C’est d’ailleurs par Le monde d’hier de Stefan Zweig, grand ami de Romain Rolland, que l’auteur débute sa liste. Un choix qui s’explique par le fait qu’Amin Maalouf aussi a «le sentiment d’avoir connu un monde en voie de disparition». Toutefois, il reconnaît d’emblée qu’en fait, il a connu l’auteur autrichien au tout début de sa vie de lecteur à travers un livre qui n’est pas son ouvrage le plus connu mais qui, pour lui, «a été essentiel»: Fouché. «Pourquoi c’était essentiel? Parce que Zweig, à partir d’un personnage qui était vilipendé, a pu raconter une histoire. Je ne dis pas qu’il l’a réhabilité complètement, mais il prenait un peu le contre-pied de ce que l’on dit d’habitude sur le personnage. (…) C’était nouveau pour moi (…) Je découvrais que l’on pouvait prendre un thème ou un personnage historique et le traiter de manière complètement différente, et quand j’ai commencé à écrire, c’est une approche qui m’a beaucoup influencé. »


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La deuxième place est occupée par La tulipe noire, qui n’a rien à voir avec le film de Christian-Jaque avec Alain Delon, puisque ce roman historique se joue aux Pays-Bas, au XVIIe siècle, quand le peuple renverse les frères Jean et Corneille de Witt. Amin Maalouf confesse que ce livre, loin d’être le plus connu d’Alexandre Dumas, l’a frappé «parce qu’il y a une scène dans ce livre qui ne s’est jamais effacée de ma mémoire: c’est une scène de lynchage (…) et je me souviens du sentiment d’horreur – mais d’horreur un peu perverse parce qu’on lit avec avidité quand même la scène…»


Ensuite le choix d’Amin Maalouf s’est porté sur L’étranger d’Albert Camus: «Ce qui m’a frappé, ce sont ces phrases courtes du début, qui m’ont donné envie d’écrire en fait (…) Mais là, il y avait une sorte d’énergie, de force et de simplicité, dans ces quelques premières phrases de ce livre, et je me suis dit, peut-être qu’un jour j’écrirai.»
Pour qui connaît Amin Maalouf, son œuvre romanesque, mais aussi ses essais, il n’est guère étonnant que Sinoué l’Égyptien du Finlandais Mika Waltari se retrouve en 4e place: «C’est un livre qui s’inspire très librement d’une chronique ancienne qu’il a d’ailleurs déplacée de plusieurs siècles, car il avait envie de raconter l’histoire d’Akhénaton, ce pharaon qui a voulu instaurer une forme de monothéisme (…) L’histoire est d’autant plus intéressante qu’elle mêle à cette aventure une autre, scientifique celle-là. On découvre aussi à travers ce livre un certain art médical, de la chirurgie, qu’on n’imaginerait pas à cette époque-là. (…) Le jour où j’ai écris un roman que j’ai intitulé Léon l’Africain, j’ai pensé un peu à ce titre», confie Amin Maalouf.


Ce n’est pas Natalie Zemon-Davis, auteure d’une biographie de Léon l’Africain, qui occupe la cinquième place, mais une autre historienne américaine: Barbara Tuchman. Dans Un lointain miroir, elle prend comme guide le Sire de Coucy pour raconter «magistralement» le XIVe siècle. « On redécouvre un visage de la France de cette époque, on redécouvre complètement le Moyen Âge. »


Dans Les Buddenbrooks de Thomas Mann, en sixième position, c’est la ville hanséatique de Lübeck au XIXe siècle que l’on découvre à travers une chronique familiale qui s’étend sur trois générations. «Il y a une fraîcheur qu’on ne retrouve pas ailleurs chez Thomas Mann (…) des écrivains qui ne sont pas vraiment connus et qui écrivent quelque chose de très spontané, pur, avec une sorte de jeunesse d’esprit et qui, à un moment donné, deviennent beaucoup plus connus, plus vénérés…»


Nous ne savons pas si c’est pour l’île de Glubbdubdrib qu’il embarquerait avec sa bibliothèque idéale, mais Amin Maalouf a récemment relu Les voyages de Gulliver de Jonathan Swift, septième de sa liste : « Sur l’île de Laputa, Swift décrit une sorte de machine, et on est sidéré (…) il a écrit cela il y a 300 ans, et c’est effectivement une description d’un ordinateur, de ce qu’il peut faire (…) c’est fascinant.»


Avec la huitième place, Les âmes mortes de Nicolas Gogol, nous restons quelque peu dans l’esprit de Swift: «C’est une satire de son époque, mais c’est fait avec un esprit d’une modernité extraordinaire.»


La neuvième place est également occupée par un auteur russe: Tolstoï. «La mort d’Ivan Illich est une œuvre qui a une sorte de perfection, dans la forme, dans le contenu, il y a un résumé de la condition humaine. Ce n’est même pas un roman, c’est une nouvelle un peu longue. Il y a toute la littérature universelle qui est là en condensé.»


Le dixième livre choisi est La tache du contemporain Phillip Roth: «On a une histoire très inhabituelle de racisme dans ce livre un peu déroutant, mais remarquablement mené comme c’est toujours le cas avec les livres de Philip Roth. (…) Je suis un peu partial quand je parle de lui, parce que j’aime bien son univers.»


Amin Maalouf avoue qu’il aurait aussi pu choisir Zone d’Apollinaire ou T.S. Eliot car il « aime bien le grand poème qui raconte quelque chose, et c’est vrai que c’est le cas de Zone d’Apollinaire. Pas tout Apollinaire ». L’académicien, qui a dans sa bibliothèque tout un rayon sur Apollinaire, aime beaucoup le personnage et a «même une idée qui traîne depuis quelques années d’écrire quelque chose sur lui».


En attendant que ce projet se concrétise, le public a eu droit à un éclairage original sur l’œuvre d’Amin Maalouf et à une leçon de littérature qui a été un moment de pur bonheur.

Michel MAY (Nancy), [email protected]
(L’Orient-Lejour)

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