The Saga Lebanon – Dakar – Marseille: Liliane Rada Nasser by Roberto Khatlab

Le véritable printemps libanais ?

Mardi, février 12, 2013
Bahjat RIZK
Enfin, une petite lueur d’espoir et de changement dans cette stagnation libanaise et une possibilité même infime de reconnaître une marge de liberté individuelle dans la société cloisonnée multicommunautaire libanaise! La question du mariage civil (comme toute question de moeurs) remet en avant la confrontation entre deux visions de la société: celle patriarcale et hiérarchisée, et celle individuelle et égalitaire. Certes, les autorités religieuses tant chrétiennes que musulmanes (et cela aurait été le cas pour toute religion, quel qu’en soit le contenu, car le religieux ne se construit que dans la verticalité) ont de la difficulté à accepter le mariage civil. Pour les chrétiens parce que cela désacralise le mariage (qui devient un contrat et n’est plus un sacrement) et permet aux individus de sortir de leur communauté, et pour les musulmans, parce qu’il permet à des individus (notamment des femmes) de se soustraire à la loi dictée, de revendiquer l’égalité et de se soustraire également à leur communauté, bravant la menace de l’apostasie brandie récemment par un chef religieux mais qui a pu l’être, à de multiples reprises de par le passé, même sous des formes plus tempérées, par des dignitaires d’autres communautés. Quelle que soit la forme, le principe est le même. Le Conseil supérieur chiite a condamné fermement de son côté le mariage civil et les autorités chrétiennes ne se sont pas prononcées. Certes, l’institution religieuse a été longtemps garante de l’ordre dans la société et de la solidarité communautaire. Certes, l’autorité patriarcale a préservé jadis des mécanismes de cohésion sociale et a maintenu des cadres de vie et de transmission des valeurs culturelles. Mais ce système a également engendré des abus et provoqué des dérapages et des débordements, et, pourquoi s’en cacher, une véritable guerre civile, déclarée ou latente, qui dure depuis plus de quatre décennies au Liban. Or la révolution des moyens de communication et les révolutions économiques et politiques qui en ont résulté ont entraîné un bouleversement culturel dans le processus de structuration sociétale. La mondialisation impose de fait aujourd’hui une marge incompressible de libertés individuelles puisque l’individu peut accéder directement, de son propre chef et de manière interactive, aux réseaux sociaux transnationaux, voire planétaires. Les réactions concernant le mariage civil sont apparues dès le départ et en force sur la Toile, et cela a permis à tout un chacun d’exprimer son opinion personnelle. D’ailleurs, Khouloud et Nidal, jeune couple emblématique, confondant de spontanéité et d’idéalisme, s’est fait connaître au départ sur la Toile et a été soutenu par les internautes. L’intervention discrète et démocratique du président de la République par le même biais a ouvert publiquement et politiquement le débat. Il me semble qu’avant de discuter du type de loi électorale à appliquer, de la répartition entre les communautés et les familles (système patriarcal) et de la reproduction stérile d’un système dysfonctionnel et défaillant, il est important d’évaluer la véritable marge de manoeuvre qui est accordée à l’individu pour qu’il puisse avoir un choix rationnel et accéder à une égalité citoyenne. Le mariage civil est facultatif et il permet aux Libanais désireux de le contracter de le faire dignement sur le sol de leur propre pays, entourés de leurs proches, plutôt que de le faire à la sauvette à l’étranger. D’ailleurs, ce n’est peut-être pas un hasard que la question a été évoquée juste après la loi dite orthodoxe qui, même si elle est amplement justifiée dans ses motivations et ses préoccupations d’égalité entre les communautés, cloisonne à nouveau la société libanaise et la replace de manière archaïque sous la férule de quelques chefs communautaires. C’est donc soit le retour de plus d’un siècle en arrière, soit l’ouverture à la société civile qui place l’individu et ses droits au coeur de la société. Il faudrait souligner au passage, par souci d’équité, que les jeunes leaders charismatiques chrétiens issus de ce système patriarcal, qui soutenaient au départ la loi dite orthodoxe, se sont tous déclarés très rapidement en faveur du mariage civil. Il ne s’agit donc pas de donner des leçons à qui que ce soit, mais
au contraire de reconnaître la bonne foi (citoyenne) de tous les Libanais et leurs angoisses légitimes. Il est temps d’avoir un vrai débat sur l’identité de cette société qui oscille entre deux cultures, de sortir du double discours et de l’ambiguïté entre l’archaïsme et la modernité qui nous empêche collectivement d’évoluer. Il y a un minimum de libertés à reconnaître à l’individu après une guerre fratricide qui a fait plus de 200000 morts et dont on ne parvient toujours pas à débattre. Est-ce qu’il s’agit de martyrs communautaires ou est-ce des victimes communes à toutes les communautés? C’est uniquement en affrontant sereinement et pacifiquement le débat que le Liban, seul pays arabe à avoir inscrit depuis 1990 la Charte des droits de l’homme dans le préambule de sa Constitution, peut se prévaloir d’être le précurseur du printemps arabe et de revendiquer d’être le pays du dialogue des cultures. Ladite charte ayant elle-même été largement portée par un illustre penseur libanais (Charles Malek) aux Nations unies en 1948. Certes, la question identitaire, comme toute question existentielle, est dialectique et dynamique, et non point linéaire. Elle ne peut recevoir une réponse définitive car cela figerait la vie humaine et a besoin d’être, dans ses constantes, toujours à nouveau négociée, réajustée et révisée. Certes, nous tenons à nos structures familiales, affectives et sociales qui sont transcommunautaires, trangénérationnelles et partagées par tous les Libanais, mais il est impensable d’enfermer les générations du XXIe siècle dans des structures inadaptées et archaïques du passé (traditionalistes et salafistes). Dans les pays arabes aujourd’hui, des jeunes continuent à payer de leur vie ce débat vis-à-vis de leur propre religion et de leurs propres institutions répressives. Le président de la République, Michel Sleiman, et l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, ont été exemplaires à ce sujet car, au-delà de la politique politicienne et populiste, ils ont pris des risques et adopté des positions de principe fermes et courageuses , basées sur le dialogue et la raison. Certains hommes de religion, toutes communautés confondues, font également preuve quotidiennement de progressisme et d’humanisme. La rationalité et l’idéalisme ne sont le monopole d’aucune religion. Le cheikh d’al-Azhar, le recteur de la mosquée de Paris et le mufti de Tripoli (qui a reçu des menaces de mort) sont aujourd’hui, dans le monde arabe et occidental, des personnalités exceptionnelles, réformatrices, sages, avisées et avant-gardistes, dont on ne se lasse pas d’écouter religieusement et rationnellement les discours car ils savent que leur mission va au-delà de leurs intérêts personnels et qu’elle vise dans l’universalité de l’humain à réconcilier les hommes avec eux-mêmes. La question toujours non résolue du mariage civil facultatif au Liban serait-elle annonciatrice, dans ses symboles, du véritable printemps libanais? Bahjat RIZK

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