Le Centre sportif, culturel et social du collège Notre-Dame de Jamhour a organisé une table ronde autour de l’ouvrage du père Salim Daccache, recteur de l’Université Saint-Joseph (USJ), Pluralisme, vivre-ensemble et citoyenneté au Liban, le salut vient-il de l’école? Cet ouvrage imposant − plus de 600 pages − a suscité beaucoup d’intérêt, à l’heure où le monde s’interroge, à l’ère de la mondialisation, des pourquoi et des comment du vivre-ensemble.
Le travail du père recteur Salim Daccache «vise un objectif crucial, qui se trouve être pas moins que notre propre salut de Libanais», souligne Melhem Chaoul, professeur de sociologie à l’Institut social de l’Université libanaise (UL). Et de se demander: ce salut, en dernière instance, viendrait-il de l’école? Selon lui, sur un plan pratique, ce livre constitue un ouvrage de référence majeur dans le domaine éducatif pour l’avenir et pour les générations montantes. «En effet, dit-il, par le matériel riche qu’il a pu grouper grâce à l’expérience éducative unique de son auteur, il devient possible de créer et de développer un champ commun de valeurs éducatives, sans pour autant – et cela est très important – annihiler les spécificités des diverses composantes communautaires qui font la richesse du Liban. A partir de la volonté de trouver une plate-forme éducative commune qui se dégage clairement de ces textes, donc, plus largement, d’une volonté de réussir un vivre-ensemble et une citoyenneté, une autre étude se profile à l’horizon: celle qui étudiera la sincérité-crédibilité des objectifs et des valeurs fixés dans les textes de mission et, surtout, leur mise en œuvre sur le terrain, afin qu’ils ne deviennent pas, c’est le cas de le dire, des vœux pieux», conclut le professeur.
Bahjat Rizk, avocat et attaché culturel à la délégation du Liban auprès de l’Unesco, estime, lui, que cet ouvrage «est un inventaire critique et un outil précieux à l’approche, dans moins d’un mois, de la 70e commémoration de l’indépendance du Liban qui devrait être l’occasion, pour évaluer, ouvrir un débat honnête, dresser un bilan, explorer de nouvelles perspectives et susciter une vraie et profonde réflexion sur le devenir libanais». La question du pluralisme culturel, selon Rizk, se pose actuellement dans toutes les sociétés à l’ère de la mondialisation et ne constitue plus une spécificité libanaise. «Il n’y a toujours pas de réponse définitive à cette question si complexe qui n’est toujours pas conceptualisée, mais des ébauches de solutions ponctuelles émanant de l’histoire de chaque société, des compromis et des arrangements qu’elle trouve ou invente et la manière de concilier son unité et ses particularités.
La grande difficulté concernant le pluralisme culturel provient du fait que nous devons tendre vers une humanité commune, «des droits de l’homme sans distinction de race, de sexe, de langue et de religion» (article 1er de la charte de l’Unesco). Mais, en même temps, nous devons accéder à une identité culturelle collective à travers des paramètres culturels objectifs «de langue, de religion, de race et de mœurs», qui nous permettent de nous structurer, tout en risquant de devenir discriminatoires. L’humanisme universel est certes attrayant et transcendant, mais paraît idéaliste, n’est pas à la portée de tout le monde et ne peut pas hélas résoudre les conflits culturels et politiques au quotidien. Il tend à nier les conflits et à les occulter, mais risque en les refoulant, de les alimenter de l’intérieur et de retarder dangereusement, leur éclatement souvent inéluctable».
Edifier l’identité libanaise
«Le pluralisme libanais, poursuit-il, est lié à l’expérience libanaise, son système de fonctionnement, ses paradoxes, ses incohérences, ses contradictions et son désir de constituer malgré toutes ses imperfections, une expérience humaine unique».
Dans cet ouvrage, dans lequel le père Salim Daccache, présente donc une étude comparative des finalités, des objectifs et des valeurs transcommunautaires des écoles libanaises chrétiennes, musulmanes et laïques, Jean-Paul Resweber, philosophe français, auteur de plusieurs livres sur l’interdisciplinarité, sur l’éducation et sur les pédagogies nouvelles écrit dans sa préface: «En mettant en perspective les points communs et les différences existant notamment entre l’enseignement “chrétien” et l’enseignement “musulman”, (le travail de Salim Daccache) débouche sur des propositions explicitant les convergences qui sous-tendent les discours (textes officiels, chartes, textes de référence religieux, projets éducatifs) et les pratiques diversifiées de l’enseignement officiel et surtout de l’enseignement privé religieux et privé non religieux. Les enjeux sont de taille et prennent la forme d’un défi, puisqu’ils visent à édifier l’“identité” libanaise sur les bases d’un pluralisme religieux, linguistique, culturel et communautaire».
Le père Daccache
Recteur de l’Université Saint-Joseph (USJ) depuis le 1er août 2012, le père Salim Daccache est né, au Kesrouan, en 1950. Il fait ses études secondaires au séminaire Saint-Maron des pères jésuites à Ghazir et obtient une licence en Philosophie de l’USJ. En 1975, il s’engage dans la Compagnie de Jésus. Il prononce ses vœux en 1991. Il poursuit ses études en France et obtient une maîtrise en Théologie et en Philosophie, un doctorat ès Lettres-Philosophie de l’Université Panthéon-Sorbonne et un doctorat en Sciences de l’éducation de l’Université de Strasbourg.
Daccache est nommé recteur du collège Notre-Dame de Jamhour (de 1991 à 2008). En septembre 2008, il est doyen de la faculté de Sciences religieuses et directeur de l’Institut de lettres orientales de l’USJ. Il est par ailleurs directeur adjoint de la maison d’édition Dar al-Machreq et rédacteur en chef de la revue culturelle arabe al-Machreq, propriétés de la Compagnie de Jésus. Il est également vice-président du comité des sociétés bibliques Liban-Syrie et membre du comité de gestion des écoles de la Compagnie de Jésus dans la Békaa.
Le père Salim Daccache a publié de nombreux ouvrages et articles et a donné de nombreuses conférences autour de l’éducation, de la spiritualité syriaque, de la philosophie morale et politique, de l’islamologie, de la rencontre des cultures, du dialogue interreligieux, des relations islamo-chrétiennes…
Danièle Gergès
Des jeunes venus de France…
Ils sont quatre, Josslelin Rieth, Ismael Medjdoub, Samuel Grzybowski et Victor Grezes. Ils sont chrétien, musulman, athée et agnostique. Ils sont venus au Liban dans le cadre d’une tournée mondiale dont le but est de rencontrer «toutes les personnes qui lancent des initiatives interreligieuses».
«Nous sommes déjà passés dans dix-neuf pays, disent-ils à Magazine. Le Liban est le vingtième. Nous essayons de connecter les gens acteurs du vivre-ensemble, d’un continent à l’autre, d’un pays à l’autre, d’une ville à l’autre. Le second objectif est de communiquer sur ce qu’on fait à travers les réseaux sociaux et les médias pour montrer aux gens qui nous suivent la multitude des initiatives interreligieuses dans le monde. Notre troisième objectif est la recherche. Nous sommes tous universitaires à l’Université de la Sorbonne, étudiants en histoire et sciences politiques, et dans ce cadre-là, nous profitons de ce voyage pour faire des interviews et nous approfondir dans le sujet qui nous intéresse, en l’occurrence le vivre-ensemble». Qu’ont-ils retenu de leur expérience libanaise? «Si tu as compris le Liban, c’est qu’on te l’a mal expliqué». «C’est ce qu’on avait entendu dire et là on le ressent. Nous mettons l’accent sur l’habilité des jeunes à entreprendre des initiatives positives qui rapprochent les religions et les hommes». Les trois pays qui les ont le plus marqués jusque-là? «La Palestine, la Bosnie et le Liban à cause de la problématique interreligieuse. Ce sont des lieux qui ont beaucoup souffert malgré les difficultés. Ils ont découvert le potentiel énorme du vivre-ensemble au Liban». Des rencontres qui les ont marqués? «Certainement, répondent-ils. Un jour, en Palestine, au cours d’une discussion sur le conflit israélo-palestinien avec un homme, nous lui avons demandé pourquoi il n’était pas en colère. Il a répondu que la colère n’aide en rien et que l’amour est la seule façon de vivre». Une autre rencontre marquante? «Au Vatican, le pape nous a consacré cinq minutes de discussion. C’était vraiment inattendu». Et l’athée d’entre eux ajoute: «Quand je lui ai dit que je suis athée, il m’a répondu qu’il était heureux que je sois là et que je sois son ami».
D.G.