Des ténèbres à la lumière, du moi au nous
Ismail Nasra
Stéphanie Nassif 01-02-2016 12:00 AM
De tout temps le rapport à l’autre dans sa différence a constitué une entrave à des relations humaines harmonieuses. Depuis quelques années cet obstacle semble se transformer en barrière hermétique, derrière laquelle se retranchent des groupes revendiquant une identité ethnique ou religieuse spécifique. Cette crispation identitaire, très largement entretenue par des antagonismes politiques, économiques et sociaux à l’échelle planétaire, repose sur une évidence : de plus en plus, la différence fait peur. De fait, la diversité n’est plus perçue comme un atout mais bien comme une faiblesse. La différence est une menace, un danger face à un système de valeurs établies considérées comme des vérités, ou au contraire elle est revendiquée comme une appartenance exclusive qu’il faut conserver à tout prix. Le résultat est le même : le repli sur soi, le refus de tout échange avec l’autre. Cette attitude aboutit à la stigmatisation de la différence, car en mettant dos à dos des systèmes de valeurs incomparables, on oppose les cultures jusqu’à les écarteler. Il est vrai qu’il est plus facile de rejeter la différence plutôt que de chercher à la comprendre et à l’accepter. En effet, chercher à la comprendre c’est bouleverser ses repères et accepter de remettre en cause son propre système de valeurs.
Ecrivain française, libanaise de cœur, installée depuis quelques années au Liban, j’ai expérimenté ce rapport à l’autre dans la différence : une confrontation directe entre Occident et Orient, une découverte quotidienne de ce qui fait diverger deux systèmes de vie, de pensée, de valeurs sociales, religieuses, politiques et économiques. Je me suis appliquée à extraire la richesse essentielle de cette diversité, jusqu’à comprendre enfin la clé du rapport à l’autre, telle que la révélait André Malraux : « Juger, c’est de toute évidence, ne pas comprendre ; si l’on comprenait, on ne pourrait plus juger. » Car c’est bien l’absence de compréhension, que ce soit par ignorance ou par refus, qui conditionne l’étanchéité de cette barrière qui tend à devenir infranchissable.
A bien des égards, le Liban constitue un parfait microcosme du rapport à l’autre dans sa différence. Les évènements politiques, confessionnels, économiques, sociaux – voire environnementaux – de ces dernières années sont le reflet d’un écartèlement identitaire de plus en plus marqué, traduisant également une fragilisation incontestable du tissu social. Il ne fait aucun doute que cette opposition est stérile – voire dangereuse – car elle ne permet pas d’avancer, ni à titre individuel ni à l’échelle d’une société. Il est par conséquent essentiel de réapprendre à accepter la différence et de la comprendre.
Car finalement, cette identité revendiquée par certains groupes communautaires est-elle irréversible ? Peut-on véritablement dire qu’un individu reste le même toute sa vie ? En entendant les propos d’une étudiante libanaise affirmant avec une certaine surprise à mon sujet « elle est comme nous » lors d’une conférence sur la francophonie, j’ai soudain pris conscience que l’autre que je découvrais il y a quelques années en m’installant au Liban, celui que je percevais avec mon regard d’Occidentale, est en partie moi aujourd’hui ! Par conséquent, l’identité d’un individu, loin d’être figée, évolue au cours de la vie, en fonction notamment de ses aptitudes d’ouverture à l’autre.
Pour conclure et en guise d’invitation, je livre à votre réflexion ces quelques mots de la préface de mon dernier roman, Le trésor du temple de Melqart – L’héritage phénicien : « Dès que l’homme parvient à dépasser le MOI pour devenir NOUS, oubliant ses rancœurs et ses différences, il s’élève chaque jour un peu plus vers l’infini. »
Ecrivain française, Stéphanie Nassif retranscrit l’expérience de la diversité dans ses ouvrages, mélange de cultures et de rencontres.