Sous le regard de saint Maron et du patriarche Hoyek

Sous le regard de saint Maron et du patriarche Hoyek


Bahjat RIZK


OLJ


07/02/2015


Le lundi 9 février, les maronites du Liban célébreront la Saint-Maron, fête patronale communautaire et nationale. Nous serons toujours, ce jour-là, sans président de la République maronite car nos leaders maronites « de premier plan », tous prétendants exclusifs au poste, n’arrivent pas à s’entendre entre eux. C’est bien triste de célébrer une fête officielle symbolique quand on n’est pas parvenu à définir une véritable ligne d’action collective cohérente qui vise à maintenir l’équilibre, la continuité et la stabilité institutionnelle dans un pays pluricommunautaire. Ce poste de la présidence de la République avait été attribué par consensus national à la communauté maronite afin de lui assurer de manière durable une reconnaissance de ses droits culturels et politiques. Le concept même du Liban avait été conçu et porté par le patriarche Hoyek à la Conférence de la paix à Versailles en 1919 et répondait à un besoin de créer un espace de convivialité et de partage des pouvoirs politiques, dont le bénéfice reviendrait ultimement à tous les Libanais, toutes communautés confondues. Que dirait aujourd’hui saint Maron, moine ermite et père fondateur de cette communauté chrétienne catholique d’Orient ? Que dirait aujourd’hui le patriarche Hoyek qui s’est battu il y a presque cent ans(1920) pour ce Grand Liban idéal, dont il est incontestablement, au nom de tous, le père fondateur ? Le 9 février 2015, quarante années après le déclenchement des guerres (internes et régionales) du Liban (13 avril 1975) et quatre-vingt quinze ans après la déclaration du Grand Liban (1er septembre 1920), le patriarche maronite actuel célébrera la Saint-Maron à Rome et les dirigeants maronites s’installeront à Beyrouth, dans les rangées officielles, alors que le siège réservé au président de la République sera toujours honteusement et désespérément vide depuis bientôt neuf mois. Que dire à l’esprit toujours présent de ces deux vénérables et nobles prélats qui ont oeuvré pacifiquement, à presque quinze siècles d’intervalle, pour porter, par la prière et la raison, une foi, un peuple et un projet culturel et politique ? Avoir survécu dans des conditions souvent hostiles et avoir traversé quinze siècles pour aboutir à cette chaise vide ? Le Liban était à la base un projet d’avenir, un projet progressiste. Le manque de sagesse, d’humilité, d’envergure et de vision le réduit à une série de projections subjectives et contradictoires au service d’intérêts partisans, voire personnels. Certes, au-delà de l’émotionnel, il faudrait parvenir, tôt ou tard, à un débat rationnel, qui définisse d’urgence les paramètres identitaires objectifs et constants, pour les compenser et créer une dynamique de construction et non de ségrégation. L’acte d’identification positive étant un processus continu. Mais il faudrait au départ soumettre l’action politique qui l’accompagne et l’incarne à une finalité transcendante et non à une ambition purement personnelle, oeuvrer sur la durée et non pour des urgences versatiles et immédiates. Avoir eu plus de 200 000 morts, sur plus de quatre décennies, qui survivent dans nos mémoires et se retrouver devant des institutions quasi paralysées, qui fonctionnent de manière minimale et artisanale, renouvelant de manière opportuniste et absurde leur propre mandat… Créer le vide, entretenir à dessein le vide, en pensant que l’autopromotion narcissique peut le combler… Au moment où le monde est secoué par des conflits identitaires, exacerbés par la mondialisation, les politiciens libanais font assaut de surenchères, d’exploits fictifs et de leçons à donner alors que le cadre d’action semble de plus en plus restreint et de plus en plus difficile à définir. La communauté maronite, chefs et peuple, devrait méditer à l’occasion de la fête patronale, sur son devenir et son destin. Divisés comme ils sont et dévorés d’obsessions et de discours verrouillés, ils ne pourront ni être solidaires d’eux-mêmes ni tendre la main à leurs compatriotes nationaux. Sous le regard de saint Maron et du patriarche Hoyek, qui se retournent dans leur tombe, la chaise vide au premier rang incarne aux yeux du monde l’échec, l’égoïsme et le manque affligeant de maturité.


Bahjat RIZK

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