De l’importance des dates fondatrices dans la vie des peuples

De l’importance des dates fondatrices dans la vie des peuples


Avec un peu de retard, involontaire (mais mieux vaut tard que jamais), je
voudrai revenir sur l’émouvante et impressionnante deuxième cérémonie de
commémoration du 1er septembre 1920, au Grand Sérail. Un pays qui
prépare une commémoration nationale et une évaluation sociétale doit
l’effectuer sur un triple plan : politique, économique et, bien entendu,
culturel. Les trois étant interactifs, indispensables et intimement liés, et la
préoccupation identitaire devant nécessairement prendre en considération
ces trois piliers complémentaires sur lesquels repose l’équilibre de toute
collectivité. Un pays ne vit et même ne survit en période de crise que grâce
à son identité et à sa culture. Nous avons chaque jour de multiples
exemples qui illustrent ce propos. Le plus important, c’est que les membres
d’une même collectivité se retrouvent autour des mêmes dates fondatrices,
d’un même contenu bien défini, d’une même expérience vécue, intériorisée
et partagée.
Tout récemment, les commémorations du centenaire de la grande guerre
(1914-1918), celles du 70e anniversaire du débarquement en Normandie et
de la libération dramatique de Paris et celle tragique de Varsovie (1944)
nous ont rappelé combien d’êtres humains ont donné leur vie pour que leur
culture et leur identité puissent survivre, se transmettre et perdurer. Toute
société humaine se structure et se construit dans sa culture et le fait de le
nier peut entraîner des réactions d’extrême violence, tournées vers soi ou
vers les autres. La culture de la haine et du rejet, tout en étant archaïque,
inhumaine et indiscutablement répréhensible et condamnable, est un cri
d’alarme et de détresse morale. Une société humaine, comme un individu,
ne peut vivre sans reconnaissance, sans repères et sans estime de soi.
L’initiative de Mme Bahia Hariri est pionnière et inspirée. C’est à mon avis la
plus intelligente initiative politique proposée au Liban, depuis des
décennies. Redonner un cadre référentiel au projet libanais pour toutes les
communautés, à partir de 1920, est la vraie démarche à suivre, pour
redonner au pays sa légitimité et sa raison d’être, à partir de ses données
de base, de son origine d’État moderne pluricommunautaire, dans ses
frontières actuelles internationalement reconnues. Pendant ce temps, les
principaux dirigeants politiques actuels de la communauté maronite, divisée
sur elle-même, s’épuisent dans des luttes intestines féroces et des
querelles, animés par des ambitions personnelles et créant à dessein un
vide rédhibitoire, voire mortel, à la tête de l’État. Le bon candidat à la
présidence de la République est celui qui se sent dépositaire du projet porté
initialement au nom de tous les Libanais par le père fondateur. Mme Bahia
Hariri, à partir de la figure tutélaire, puissante et visionnaire du patriarche
Hoayek, vient rétablir, au nom d’une majorité des Libanais de toutes les
communautés, la genèse et la spécificité de ce projet libanais comme pays
des libertés des groupes et des libertés individuelles. Tout président qui
serait élu devrait avoir ce projet de commémoration en priorité (qui,
théoriquement, couronnera son mandat de six ans en 2020).Tout président
du Conseil ou président de la Chambre, actuels ou à venir, devraient avoir
en perspective cette échéance car elle permet de célébrer le centenaire de la
proclamation du Grand Liban et d’affirmer la continuité du projet libanais. À
l’initiative de Mme Hariri, le président Tammam Salam a bien fait d’accueillir
au Grand Sérail cette deuxième cérémonie, après celle de l’année passée, à
la même date du 1er septembre, par le président Michel Sleiman au palais
de Beiteddine, construit par l’émir Béchir II (1789-1840) et résidence
officielle d’été du chef de l’État. Il faut une continuité rationnelle et affective
dans l’histoire d’un pays. Il ne s’agit pas de rendre hommage à des
individus, mais de saluer une démarche collective qui pourrait rassembler
tous les Libanais s’ils s’identifient collectivement à nouveau au projet de
base porté par la figure emblématique du patriarche Hoayek au nom et au
profit de tous les Libanais depuis bientôt un siècle.
La maison libanaise doit être reconstruite de l’intérieur. Elle ne peut l’être
qu’en revenant au projet initial, établissant après la chute de l’Empire
ottoman cette entité libanaise qui a essayé malgré toutes les guerres civiles
et inciviles depuis de maintenir, pour le bien commun de tous, un espace
de dialogue, de modernité, de convivialité, d’ouverture et d’enrichissement
mutuel. Cette culture, bientôt centenaire dans sa forme actuelle, héritée de
plusieurs générations, issue de toutes les communautés, a tracé une
expérience unique en Orient et devrait être renforcée dans ses bases et ses
priorités.
Cette expérience libanaise devrait être accompagnée par le monde politique
et le monde culturel, qui porte les valeurs de créativité et d’innovation du
Liban. Les richesses naturelles doivent être préservées et aménagées, mais
les richesses culturelles se forgent dans le sang et la chair et se gravent
dans la mémoire des peuples, pour rejoindre le patrimoine humain dans sa
diversité et son universalité.
Bahjat RIZK


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