Edgard Davidian | OLJ, 23/05/2014
RENCONTRE
Il a la musique dans le sang. Tous les thèmes, toutes les cadences, toutes les mélodies, toutes les explorations sonores le touchent. Zad Moultaka n’a pas fini de surprendre ses auditeurs et, peut-être, de se surprendre. Rencontre pour parler, dans sa double modernité, de sa musique en concert, sur CD dans les bacs, ou en ligne sur Internet… Un éventail de choix.
Comme un cygne au plumage de geai: éternellement en polo, jeans et chaussures noirs. Les cheveux en bataille, mais le regard vif et le verbe toujours prompt à réagir. Surtout quand il s’agit de musique. Particulièrement de sa musique. Toujours entre deux projets. Déjà en ébullition pour ce qui va arriver à peine le dernier concert entamé à Royaumont, en Île-de-France, Paris, Montréal ou n’importe quel coin du monde.
Mais pour son dernier passage à Beyrouth, comme d’habitude en coup de vent et entre deux valises, discussion à bâtons rompus à propos de son dernier travail entrepris à Stuttgart, en Allemagne.
Sourire amusé ou yeux écarquillés de l’auditeur, sous les doigts et la plume, aux yeux et au goût du compositeur d’Anachid, la tambouille a, par le biais d’une subtile dérivation, plus d’une inspiration, plus d’un emploi et plus d’une sortie de secours…
Notre plat national de «hommos», bouillie de pois chiche à l’huile de sésame si prisée, a la consonance de l’humus, essence humide de la terre, en langue germanique. Il n’en fallait pas plus pour notre compositeur pour échafauder une musique jouant des doubles significations, en modalités liées, en tonalités diverses, en rythmes saccadés, en rapprochements, en port de masques des vocables, des sons et des notes.
Chapitre vite clos pour survoler le projet très proche de voir bientôt le jour. Titre: Où en est la nuit? sur CD. Ce sera le 7e opus gravé de Zad Moultaka, donné au Canada avec le Nouvel ensemble moderne (15 musiciens) dirigé par Lorraine Vaillancourt, qui ira rejoindre les autres sillons et platines en bac.
Entre sommeil et réveil, quand l’esprit est entre brume et sensualité, attente et angoisse, abandon et détermination. Entre deux états quand on a l’impression de faire du surplace: c’est de cela que parle cette musique. Mais il s’agit aussi du rapport à la nuit, celui des moments après les bombardements. Moments où la qualité du silence devient brusquement différente. Car il ne faut pas l’oublier, le musicien est enfant de la guerre d’un pays livré à tous les démons de la haine, des instincts de sang et souvent de l’obscurantisme… C’est un espace musical un peu inédit.
On évoque aussi en passant le concept de l’œuvre par œuvre, une nouvelle collection de l’empreinte digitale, entièrement numérique, dirigée par Catherine Peillon. Elle se propose de publier des enregistrements pièce par pièce quelles que soient leurs durées.
Un très grand soin est apporté à l’enregistrement de l’œuvre qui obéit à un principe artistique spécifique: le choix de l’interprétation relève d’une relation déjà existante avec le compositeur, intime et privilégiée, qui permet de viser une interprétation au plus proche de son écoute et de sa vision intérieure.
Les temps de répétition, d’enregistrement et de postproduction sont rallongés pour atteindre cet objectif. De fait, la pièce enregistrée revêt alors un intérêt historique et musicologique supplémentaires et constitue déjà une archive pour le futur.
Pour cette version de référence, en écoutant de la musique en «streaming», il y a Calvario, pour guitare et sons fixés, avec l’interprète Pablo Marquez, créateur de l’œuvre (distribution «Abeille musique» en partenariat avec Qobuz.com).
Suivront sans doute des œuvres déjà données : le Concerto pour cymbalum et ensemble (avec Pablo Marquez pour la guitare), Fanariki, Silenski, pour ces enfants tués dans une école, Hambleceya inspirée des rituels des Indiens d’Amérique, à la fois initiation d’un chaman et descente vers l’abîme intérieur de tout un chacun, pour confronter ses peurs, ses souvenirs, ses désirs, sa noirceur, sa transparence, sa pureté…
Au mois de juillet, Moultaka, pour le Festival de Saintes (près de la Rochelle), prépare la création de Ou bi es ? (titre latin !) autour de Hildegarde de Bingen, religieuse bénédictine mystique, compositrice et femme de lettres du XIe siècle. Une œuvre aux vibrations électro-acoustiques avec l’ensemble «De Caelis» pour cinq voix féminines spécialisées en musique médiévale et Renaissance.
Entre-temps, le compositeur court. Il court toujours l’artiste aux semelles de vent. Il court entre deux voyages, deux partitions, deux brins de muguet ou de lavande (un ami de la nature !), deux vagues de la mer (un amoureux fou de la pêche sur un petit bateau!), deux silences, deux lignes mélodiques…
Que l’on se taise donc. C’est avec la musique qu’il s’exprime le mieux !