Charlot et les Univers Parallèles.

Charlot et les Univers Parallèles

J’ai toujours été fasciné par les univers parallèles, ceux qui se dressent en bordure,
en marge, aux frontières. Un film documentaire, ‘Au Bord du Monde’ de Claus
Drexel, actuellement sur les écrans parisiens décrit de manière bouleversante l’univers des sans domicile fixe (SDF) à Paris.
En allant assister à la projection, je craignais de sombrer dans un misérabilisme pathétique et facile, mais quelle surprise de découvrir que grâce
à l’immense talent du réalisateur, le documentaire acquiert petit à petit, de
manière intelligente et sensible, une dimension esthétique et existentielle.
Certes le phénomène des SDF, de plus en plus fréquent dans des grandes
métropoles, me choque doublement, car il traduit la détresse d’un individu égaré,
livré à lui-même, dans une grande ville prospère, impersonnelle et presque
inhumaine. Voir les gens dormir dans les stations de métro, sous les ponts, à
l’entrée des jardins et sur les chaussées, me paraît insupportable et insécurisant.
Dans ma rue, il y en a un qui a élu domicile sur une bouche d’aération. Cet
homme d’une quarantaine d’années, à l’air très doux, écoute toute la journée la
radio (principalement de la musique classique et des prières) et hurle parfois dans
le silence de la nuit. Il est pratiquement impossible de communiquer avec lui,
tellement sa solitude est sauvage, coupée du monde extérieur.
Ce documentaire qui filme Paris uniquement de nuit avec tous ses monuments
illuminés, donne la parole aux SDF et leur restitue une dimension d’interlocuteurs.
C’est comme si Paris n’était plus habité que par les SDF auprès des monuments,
juxtaposition de la déchéance des hommes et de la gloire des peuples. Leurs
discours peuvent varier, des plus intelligents aux plus indigents, mais que ce soit
dans l’analyse ou dans la régression, ils se révèlent comme allant au-delà de leurs
propres limites, car leur expérience, maîtrisée ou subie est extrême.
Certains d’entre eux ont des témoignages d’humanité, à la fois humbles et
fascinants. La moyenne de vie des SDF est de 48 ans dans un pays où la moyenne
de vie se situe entre 80 et 85 ans. Ils témoignent tous du démantèlement du tissu
social et de l’individualisme, qui sont le prix que nos sociétés modernes et
matérialistes paient pour leur consommation continue. Comme ils ne produisent
plus rien, ils n’ont plus de raison d’être.
L’espace de socialisation est perdu, car ils vivent à ciel ouvert, hors circuit, hors
cadre, hors famille, hors communauté, dans une ville où les règles deviennent de
plus en plus strictes. D’ailleurs ceux qui résistent le mieux sont ceux qui
entretiennent l’espoir, de revivre un jour réunis avec leurs enfants, dont les
contraintes de la vie, les ont séparés.
Le documentaire se clôt par un chant magnifique d’opéra, pendant que défilent
dans le générique les photos désormais lumineuses des SDF qui, à défaut d’être
les acteurs de leurs propres vies, deviennent à l’écran des acteurs à part entière.

Au moment où le monde entier célèbre le centenaire, de la naissance à l’écran du
personnage de Charlot, le gentleman vagabond, véritable personnage
emblématique du XX ème siècle, créé en 1914, par le génial Charlie Chaplin, nous
découvrons que cette oeuvre est toujours d’actualité. Elle décrit et dénonce dans
ses multiples facettes redoutables et sur un ton ludique et léger, les affres et les
travers de notre société contemporaine. ‘Les temps modernes’, ‘Les lumières de la
ville’, ‘Le dictateur’, ‘Le Kid’, ‘La ruée vers l’or’, ‘L’immigré’, et tellement d’autres
titres évocateurs qui ont été tournés il y a presque un siècle et qui continuent de
nous interpeller. La modernité a également un prix et elle peut fragiliser les plus
démunis. Tout système produit ses marginaux. L’être humain a toutefois la
possibilité de se racheter par une prise de conscience, qui se traduit soit par la
réalisation artistique, par la méditation sur lui-même ou par l’action sur le terrain.
Il faudra toujours réadapter nos réalités à nos idéaux. Toute société a
constamment besoin de cette dynamique interne, qui doit parallèlement la faire
progresser et la remettre en question. L’ordre établi a besoin d’être bousculé, pour
être par la suite ajusté, rétabli dans ses fondements humanistes et reconquérir sa
légitimité.
Bahjat Rizk
Agenda Culturel

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