‘Héritages’, l’histoire d’un exil par Philippe Aractingi
Avec son troisième long-métrage, ‘Héritages’, le réalisateur libanais Philippe Aractingi, créateur de ‘Bosta’ et de ‘Sous les Bombes’, lance un nouvel ovni cinématographique et il assume : “Ce film ne ressemble à rien, mais il faut aller le voir’’. Plaidoyer d’un réalisateur en plein dans la phase de distribution de son film qu’il assure seul, sans société spécialisée derrière lui, ou réelle conviction d’un homme qui considère ce film comme une œuvre “utile plus qu’artistique ?’’ La vérité se trouve sans doute entre les deux.
A la sortie de la salle de projection de l’avant-première réservée à la presse, on hésite entre deux sentiments : l’impression d’avoir appris, de s’être questionné, sur l’exil, sur la mémoire d’un pays et d’un peuple confronté plusieurs fois à la guerre. Et la sensation d’avoir visionné un film de famille comme il en existe au Liban et ailleurs, d’avoir pénétré une intimité comme un voyeur, même s’il est vrai qu’on nous y a invités.
Au-delà de ces impressions subjectives, la touche d’originalité et d’intérêt du film tient en plusieurs points. Car l’histoire de Philippe Aractingi et d’’Héritages’ c’est d’abord celle d’une famille libanaise ayant subi l’exil sur trois générations différentes et une centaine d’années. Avec lui, et en suivant son parcours sur le bateau qui l’emmène avec sa femme et ses enfants, en France en 2006 lors de la guerre entre le Hezbollah et Israël, le spectateur se projette : que ressent-on lorsque l’on assiste impuissant à l’effondrement de son pays, sur le pont du bateau qui nous éloigne peu à peu des côtes qui nous ont vus naître ? Quel sentiment nous envahit, arrivé en France, ou dans tout autre pays d’accueil, quand on tente de reconstruire un semblant de quotidien tout en voyant les images de son pays en guerre à la télévision ?
Différents points de vue se télescopent alors : celui de Philippe Aractingi, perdu en exilé et qui repart au Liban pour tourner son film ‘Sous les bombes’ qui fera polémiques à sa sortie entre les partisans d’un cinéma engagé, soutenant le projet de ce réalisateur qui tourne en conditions réelles une fiction au plus près de la réalité, et ceux qui dénoncent un mélange des genres dérangeant. Le point de vue de sa femme, Diane, dont le départ n’a pas la même saveur, elle qui a déjà fait le trajet petite entre le Liban et la France et qui a essayé toute son enfance de se fondre dans son pays d’adoption. Mais qui culpabilise face à ceux “qui n’ont pas la même chance que nous et qui restent bloqués’’. Le point de vue de leurs enfants, qui acceptent la situation, mais ne comprennent pas d’abord ce tiraillement qui hante leurs parents jusqu’à en discuter avec leur père, pour les besoins du scénario, mais aussi comme une sorte de catharsis familiale sur la guerre et ses conséquences.
L’autre trait d’originalité, c’est le travail d’archives et de remontée dans le temps que le réalisateur opère à la recherche de son histoire familiale ; de cette grand-mère fuyant la Turquie au début du XXe siècle. De ce père, quittant la Syrie pour le Liban à la fin du mandat français. Une histoire mise en images grâce à la synthèse et à la complicité de sa famille qui se glisse dans les habits de ses ancêtres.
Avec ce film, Philippe Aractingi souhaite surtout interpeler les Libanais. Les pousser à se souvenir et à s’interroger face à un passé commun. Bien sûr, le scénario peut sembler biaisé. Il s’agit d’une famille aisée, chrétienne qui choisit de partir, car elle en a les moyens. “J’avais peur que cette impression prenne le pas sur l’histoire’’, reconnaît-il. Mais après les premières projections, des gens de toutes confessions et de toutes origines viennent lui parler : “Vous employez un langage universel, le langage de l’exil, m’a-t-on dit’’.L’atmosphère aussi pourrait surprendre face aux images de cette famille qui semble idéale, mais qui se détache parfois de cette impression quand elle est traversée par le doute : revenir au Liban, où, quand, comment ? Et les implications qu’il en découle : faut-il commencer une nouvelle année scolaire en France, ou compter sur un retour au calme rapide. Que raconter à nos enfants ?
Pour vous interroger avec lui et trouver un début de réponse à ces questions, rendez-vous dans l’une des quatorze salles libanaises qui diffuseront Héritages sur la cinquantaine que compte le Liban. “Heureusement, j’ai un nom’’, explique Philippe Aractingi. “Avec mes précédents films, les cinémas m’accordent le bénéfice du doute’’. Sinon, il reste encore très difficile selon son propre aveu de convaincre les propriétaires des salles obscures de s’ouvrir au cinéma libanais, et de lui donner une chance : “Souvent au bout d’une à deux semaines, on nous explique qu’il va falloir nous enlever de la programmation’’, raconte le réalisateur. Et de citer l’exemple de sa comédie musicale ‘Bosta’ pour illustrer l’incongruité de cette stratégie : la première semaine suivant son lancement, le film totalise alors 5 000 entrées. Finalement, il restera 20 semaines à l’affiche et comptera plus de 140 000 spectateurs, du jamais vu à l’époque pour un film libanais. Aujourd’hui, il appelle donc les Libanais à venir se faire une idée “par eux-mêmes’’ sans attendre l’avis de leurs voisins ou amis, “car on ne sait jamais, le film pourrait disparaître facilement’’. Parallèlement, le réalisateur organise des projections débats dans les universités et les écoles du pays pour réfléchir aux thèmes de l’exil et de la mémoire collective.
Pour l’instant, nul ne sait si ce “roman autobiographique’’ tel que le réalisateur le définit, saura toucher les Libanais. Mais au-delà du succès, Philippe Aractingi a un sentiment de devoir accompli face à ce film qui l’habitait depuis des années : “Maintenant mes enfants savent d’où ils viennent et qui nous sommes’’. Des enfants à qui il dédie, entre autres, son film par cette dédicace “À nos enfants’’, comme pour préciser qu’interroger le passé ne sert à pas à le ressasser, mais à construire les générations futures.
A la sortie de la salle de projection de l’avant-première réservée à la presse, on hésite entre deux sentiments : l’impression d’avoir appris, de s’être questionné, sur l’exil, sur la mémoire d’un pays et d’un peuple confronté plusieurs fois à la guerre. Et la sensation d’avoir visionné un film de famille comme il en existe au Liban et ailleurs, d’avoir pénétré une intimité comme un voyeur, même s’il est vrai qu’on nous y a invités.
Au-delà de ces impressions subjectives, la touche d’originalité et d’intérêt du film tient en plusieurs points. Car l’histoire de Philippe Aractingi et d’’Héritages’ c’est d’abord celle d’une famille libanaise ayant subi l’exil sur trois générations différentes et une centaine d’années. Avec lui, et en suivant son parcours sur le bateau qui l’emmène avec sa femme et ses enfants, en France en 2006 lors de la guerre entre le Hezbollah et Israël, le spectateur se projette : que ressent-on lorsque l’on assiste impuissant à l’effondrement de son pays, sur le pont du bateau qui nous éloigne peu à peu des côtes qui nous ont vus naître ? Quel sentiment nous envahit, arrivé en France, ou dans tout autre pays d’accueil, quand on tente de reconstruire un semblant de quotidien tout en voyant les images de son pays en guerre à la télévision ?
Différents points de vue se télescopent alors : celui de Philippe Aractingi, perdu en exilé et qui repart au Liban pour tourner son film ‘Sous les bombes’ qui fera polémiques à sa sortie entre les partisans d’un cinéma engagé, soutenant le projet de ce réalisateur qui tourne en conditions réelles une fiction au plus près de la réalité, et ceux qui dénoncent un mélange des genres dérangeant. Le point de vue de sa femme, Diane, dont le départ n’a pas la même saveur, elle qui a déjà fait le trajet petite entre le Liban et la France et qui a essayé toute son enfance de se fondre dans son pays d’adoption. Mais qui culpabilise face à ceux “qui n’ont pas la même chance que nous et qui restent bloqués’’. Le point de vue de leurs enfants, qui acceptent la situation, mais ne comprennent pas d’abord ce tiraillement qui hante leurs parents jusqu’à en discuter avec leur père, pour les besoins du scénario, mais aussi comme une sorte de catharsis familiale sur la guerre et ses conséquences.
L’autre trait d’originalité, c’est le travail d’archives et de remontée dans le temps que le réalisateur opère à la recherche de son histoire familiale ; de cette grand-mère fuyant la Turquie au début du XXe siècle. De ce père, quittant la Syrie pour le Liban à la fin du mandat français. Une histoire mise en images grâce à la synthèse et à la complicité de sa famille qui se glisse dans les habits de ses ancêtres.
Avec ce film, Philippe Aractingi souhaite surtout interpeler les Libanais. Les pousser à se souvenir et à s’interroger face à un passé commun. Bien sûr, le scénario peut sembler biaisé. Il s’agit d’une famille aisée, chrétienne qui choisit de partir, car elle en a les moyens. “J’avais peur que cette impression prenne le pas sur l’histoire’’, reconnaît-il. Mais après les premières projections, des gens de toutes confessions et de toutes origines viennent lui parler : “Vous employez un langage universel, le langage de l’exil, m’a-t-on dit’’.L’atmosphère aussi pourrait surprendre face aux images de cette famille qui semble idéale, mais qui se détache parfois de cette impression quand elle est traversée par le doute : revenir au Liban, où, quand, comment ? Et les implications qu’il en découle : faut-il commencer une nouvelle année scolaire en France, ou compter sur un retour au calme rapide. Que raconter à nos enfants ?
Pour vous interroger avec lui et trouver un début de réponse à ces questions, rendez-vous dans l’une des quatorze salles libanaises qui diffuseront Héritages sur la cinquantaine que compte le Liban. “Heureusement, j’ai un nom’’, explique Philippe Aractingi. “Avec mes précédents films, les cinémas m’accordent le bénéfice du doute’’. Sinon, il reste encore très difficile selon son propre aveu de convaincre les propriétaires des salles obscures de s’ouvrir au cinéma libanais, et de lui donner une chance : “Souvent au bout d’une à deux semaines, on nous explique qu’il va falloir nous enlever de la programmation’’, raconte le réalisateur. Et de citer l’exemple de sa comédie musicale ‘Bosta’ pour illustrer l’incongruité de cette stratégie : la première semaine suivant son lancement, le film totalise alors 5 000 entrées. Finalement, il restera 20 semaines à l’affiche et comptera plus de 140 000 spectateurs, du jamais vu à l’époque pour un film libanais. Aujourd’hui, il appelle donc les Libanais à venir se faire une idée “par eux-mêmes’’ sans attendre l’avis de leurs voisins ou amis, “car on ne sait jamais, le film pourrait disparaître facilement’’. Parallèlement, le réalisateur organise des projections débats dans les universités et les écoles du pays pour réfléchir aux thèmes de l’exil et de la mémoire collective.
Pour l’instant, nul ne sait si ce “roman autobiographique’’ tel que le réalisateur le définit, saura toucher les Libanais. Mais au-delà du succès, Philippe Aractingi a un sentiment de devoir accompli face à ce film qui l’habitait depuis des années : “Maintenant mes enfants savent d’où ils viennent et qui nous sommes’’. Des enfants à qui il dédie, entre autres, son film par cette dédicace “À nos enfants’’, comme pour préciser qu’interroger le passé ne sert à pas à le ressasser, mais à construire les générations futures.