Bahjat Rizk : Avoir 20 ans à… Beyrouth
A chaque fois, heureusement la jeunesse du Liban prouve quand il le faut qu’elle est capable d’avoir un sursaut salutaire. Cela est le cas à travers les ‘initiatives citoyennes’ répétées et tout récemment le mouvement si créatif et rafraichissant ‘Strip for Jackie’, qui a montré avec humour et détermination que les jeunes Libanais respectaient la liberté individuelle et qu’une expression esthétique et sportive du corps était naturelle et n’avait rien de honteux.
Il est certes plus honorable de s’attaquer aux violences conjugales qu’à un calendrier qui date depuis trois ans et somme toute innocent, ludique et légèrement promotionnel. Ce qui choque humainement ce n’est pas le corps créatif et nu, mais le corps mutilé. La skieuse Jackie Chamoun au Petit Journal sur Canal + a eu d’ailleurs une attitude mesurée, intelligente, fière et respectueuse qui a forcé notre fierté et notre respect.
De son côté Jean Assy, après des débordements irrationnels langagiers sur twitter vis-à-vis du chef de l’Etat à l’occasion de manifestations sportives entravées, s’est excusé avec une grande sincérité et des mots justes dans une attitude citoyenne et filiale, tout en soulignant la détresse de la jeunesse, son désir de s’accomplir et de se dépasser.
Une certaine jeunesse libanaise, malgré la morosité ambiante, tente souvent par le sport et la culture de se construire, de ne pas se laisser enfermer, de s’exprimer et d’aller vers de nouveaux horizons plus vastes. Ceci a été le cas assez récemment avec Jhonny Maalouf, Anthony Touma et Aline Lahoud dans The Voice (émission sur TF1), ainsi que Mathieu Saïkaly, dit le Farfadet, qui vient de remporter haut la main la finale de la nouvelle star (sur la D8).Tous sont confondants de talent, d’excellence et d’assiduité, et sont soutenus par leur entourage proche et la société civile libanaise dans son ensemble. Comment peut-on avoir dans un même pays une classe politique si archaïque et une société civile si évoluée ? C’est probablement un des aspects du ‘miracle libanais’.
Il y a toutefois une autre jeunesse libanaise (ou palestinienne ou syrienne) laissée à elle-même, qui s’engage elle dans la violence, se fait exploser et donne sa vie pour ce qu’elle considère des causes identitaires sacrées. Les kamikazes eux aussi sont dans la fleur de l’âge.
Une émission passe régulièrement depuis quelque temps sur France 2.Elle s’intitule ‘Avoir 20 ans à…’ et se déroule à chaque fois dans un espace géographique différent. Après Paris, Harlem, Moscou, Tel-Aviv, San Francisco et Manille, elle poursuit son tour du monde en donnant la parole à chaque fois exclusivement à des jeunes qui ont autour de 20 ans (20 -26 ans), décrivant leur quotidien et explorant leurs rêves. Il s’agit à chaque fois d’un univers particulier avec des personnes qui ont toutes en commun leur âge tendre, leurs illusions intactes et un désir encore vif d’authenticité.
Que doit-il se doit se passer dans la tête de quelqu’un qui a 20 ans aujourd’hui à Beyrouth, ou même à Tripoli ?
Si l’émission s’y déroulait, elle devrait probablement prendre un ou plusieurs jeunes des quartiers de la moyenne bourgeoisie, toutes communautés confondues (autour du centre-ville), quelques autres des quartiers plus populaires, plus excentrés (des banlieues autour de Beyrouth sud, nord, est et ouest), quelques jeunes d’un camp palestinien, quelques réfugiés Syriens. Nous serons certes confrontés à des réalités quotidiennes parallèles, avec chacune son lot de contraintes et d’incertitudes, mais l’exigence émotionnelle et intellectuelle devrait encore être la même à cet âge-là, les sens n’étant pas encore émoussés et les idéaux paraissant encore à portée de main. Et probablement, la plupart d’entre eux doivent être reliés sur des réseaux sociaux, qui sont un formidable instrument de démocratisation et d’évasion. La liberté et la mobilité sont encore le bien le plus précieux pendant qu’on se cherche une place au soleil. Après, on fera les compromis nécessaires pour trouver une place dans la société et espérer durer à l’abri quelques décennies additionnelles, le temps de faire son temps.
Le Liban, avant d’avoir des ressources naturelles, dispose surtout de ressources humaines. Celle des vingtenaires d’aujourd’hui est la plus importante. Au-delà de l’espace universitaire, le système politique doit les incorporer dans l’espace public, non pas comme un simple maillon du système patriarcal et communautaire, uniquement appliqué à le reproduire fidèlement et automatiquement, mais comme des interlocuteurs autonomes, individuels et à part entière, capables de représenter leur classe d’âge, de débattre, d’analyser et de proposer. Certes, leur participation active à des championnats sportifs internationaux et à des compétitions musicales de haut niveau est indispensable, mais il faudrait également leur assurer ainsi qu’aux femmes, une participation effective à la vie politique et à la prise de décision. C’est le seul moyen de nous ancrer durablement dans la modernité.
Bahjat Rizk