La diaspora est un atout non négligeable
D’un millier de libanais, en 1913, en Afrique-Occidentale, le chiffre est passé à 4.500 en 1936, et à 300.000 de nos jours. Le plus gros contingent serait en Côte d’Ivoire, avec 60 000 personnes, suivi du Sénégal (30 000, dont dix mille naturalisés), puis du Nigeria (25 000) et du Sierra Leone (10 000 en Sierra Leone), du Ghana, du Congo Kinshasa (6 000), enfin au Gabon (5 000), ibidem pour le Cameroun.
Premiers investisseurs du Sénégal, les Libanais possèdent 60 % des PME-PMI, alors qu’en Côte d’Ivoire ils sont crédités de 60 % du parc immobilier, de 50 % de l’industrie et de 70 % du conditionnement et de l’imprimerie, en alors qu’en Guinée ils ont la maîtrise du circuit informatique et qu’en Côte d’Ivoire ils sont crédités de 60 % du circuit informatique et en Angola, la corporation des ingénieurs, sans compter l’exploitation diamantifère au Sierra Leone. L’image d’Épinal du Libanais-petit-commerçant debout dans son échoppe devant un comptoir tapissé de rouleaux d’étoffes n’est plus depuis belle lurette de mise. L’éventail des activités économiques des libanais émigrés couvre désormais tout le spectre des métiers possibles: Médecine, commerce, ingénierie, immobilier, informatique, industrie agroalimentaire, restauration, banque. Les transferts de liquidités des expatriés représentent presque 25% du PIB du pays.
Selon une étude de l’université américaine de Beyrouth, les Libanais de la diaspora auraient rapatrié, en 2008, quelque 4,5 milliards de dollars, dont près d’un milliard en provenance d’Afrique. Le système bancaire libanais est soutenu par la progression des dépôts de l’ordre de 10% par an, un fait qui le place à l’abri des crises systémiques.
La dette souveraine du Liban atteint 139% du PIB, soit environ 53 milliards de dollars. Les banques y détiennent environ 50% de la dette publique. Elles regorgent de liquidités avec un bilan consolidé qui avoisine les 340% du PIB, soit 147 milliards de dollars, alors que le PIB du Liban est de 41 milliards de dollars. Elles se partagent donc 25 milliards de dette souveraine, pas assez pour les mettre en difficulté.
II – L’Amérique latine, une multinationale polymorphe de la diaspora libanaise
C’est dire la force de frappe de l’émigration libanaise en Afrique, sans commune mesure toutefois avec L’empire financier des Libanais d’Amérique latine. Représentant les deux tiers de la diaspora, les Libanais d’Amérique constituent, par agrégation, une multinationale polymorphe s’étendant sur l’ensemble du cône sud, avec des pics au Brésil, au Mexique et en Argentine.
En Amérique du Sud, la plus grande communauté libanaise vit au Brésil, suivi de l’Argentine, de la Colombie, le Venezuela, la Bolivie et le Chili. Le Mexique compte 500.000 immigrés libanais, majoritairement chrétiens. En Argentine, l’immigration arabe est la troisième la plus nombreuse du pays. La communauté la plus représenté est la syrienne, suivie par la libanaise, l’irakienne et la palestinienne. Sur les 3,5 millions d’arabes ou descendants, en Argentine, 700.000 sont musulmans. La collectivité palestinienne au Chili est devenue la plus grande du monde en dehors du Moyen Orient, avec environ 500 000 membres.
… Le passage de l’immigré libanais du statut de supplétif des rouages du pouvoir colonial à celui de concurrent des entreprises occidentales dans l’Afrique post indépendance, l’établissement de surcroît d’un partenariat avec les élites nationales, notamment par le financement des campagnes électorales des décideurs politiques va exacerber les antagonismes sociaux, particulièrement à l’égard des Chiites, d’autant plus vivement qu’ils sous-tendent des objectifs économiques.
L’assassinat de Laurent Désiré Kabila, en janvier 2001, passe ainsi pour avoir été financé par des libanais furieux que le président congolais ait confié à la société israélienne IDI, le monopole de l’achat des diamants (1).
Par effet d’aubaine des erreurs de la stratégie israélo-occidentale, la militarisation des chiites libanais dans la foulée de la liquidation de leur chef charismatique, l’Imam Moussa Sadr, en 1978, en Libye et du démantèlement du sanctuaire de l’OLP au Liban (1982), feront de cette communauté, jadis la plus déshéritée du Liban et sans doute la plus méprisée, par l’effet magique de ses exploits guerriers contre Israël (2000, 2006), l’équation incontournable du Moyen-Orient. Sa nouvelle puissance économique sera alors perçue comme une source nuisance, une évolution amplifiée par l’exacerbation des antagonismes interconfessionnels au Moyen Orient, sur fond de bras de fer entre l’Iran et les Occidentaux à propos du nucléaire iranien et de guerre régionale sunnites chiites attisée par la dynastie wahhabite. Sa mutation sociologique modifiera la perception de son rôle, selon le processus classique de «la fabrication de l’ennemi».
… Le basculement de l’Iran, l’ancien super gendarme américain dans le Golfe, dans le camp hostile au camp atlantiste sous l’égide de l’iman Khomeiny (1979) et son rapprochement stratégique avec les pays latino-américains, contestataires de l’ordre américain (Cuba, Venezuela, Bolivie, Brésil, Chili) a achevé de criminaliser tant l’Iran que le Hezbollah que les Chiites d’une manière potentielle.
La diaspora libanaise, atout pour le Liban, devient un traquenard tant pour les libanais que pour le pays d’origine. Les pays d’accueil, principalement l’Afrique et l’Amérique latine, deviennent le terrain privilégié de la guerre souterraine planétaire entre Israël et le Hezbollah. Les exemples abondent d’articles de la presse locale et internationale mentionnant «Le trésor des Libanais-Africains», son «opacité du fait de la déliquescence de l’administration fiscale nationale, de la fluidité du système bancaire et des innombrables tuyaux du circuit de blanchiment de l’ancienne «Suisse du Moyen-Orient».
Le harcèlement israélien des communautés libanaises d’Afrique, particulièrement au Nigeria et au Sierra Leone vise-t-il exclusivement à éliminer des concurrents dans l’exploitation diamantifère du sous-sol africain et à assécher le flux financier provenant des émigrés chiites vers leurs coreligionnaires du sud Liban? Ou à fragiliser le glacis constitué par l’immigration chiite libanaise en Afrique et en Amérique latine face à la colonisation rampante des terres entreprises par Israël dans ses deux zones?
En ce centenaire de l’immigration libanaise et de sujétion complète du Liban à l’ordre occidental, il importe que le Liban et les Libanais rompent avec l’état de béatitude et de prosternation permanente à l’égard de la France et de l’Occident, qu’ils s’ouvrent aux nouveaux pôles décisionnaires de la géopolitique mondiale et forgent un nouveau rapport fondé sur un partenariat critique avec a France et ses alliés occidentaux dans l’intérêt bien compris du Liban, des Libanais et de la France. En ce centenaire de l’immigration libanaise, il importait que cette vérité-là soit dite tant il est vrai que l’histoire se rit des peuples désarmés et débosselés et qu’il est enfin temps que le Liban parvienne à l’âge adulte et rompe avec tutorat handicapant.
Références.
1 – A propos des Libanais et la politique en Afrique: Si le millionnaire libanais Mahmoud Bourgi (Sénégal) a été un collaborateur tacite de Jacques Foccart, fondateur de la «Françafrique», son fils Robert, convoyeur de mallettes pour le personnel politique français, d’autres libanais se sont rangés du côté des partisans de l’indépendance. Cela a été le cas d’Albert Bachir, gynécologue à Dakar, militant actif au sein du RDA (Rassemblement Démocratique Africain) qui regroupait une flopée de futurs dirigeants: Modibo Keita (Mali), Sékou Touré (Guinée) et même Félix Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire), à l’époque compagnon de route du parti communiste français.
Animé d’un militantisme précoce, Albert Bachir avait été expulsé du Lycée Faidherbe à Saint Louis pour avoir refusé d’ânonner «nos ancêtres les Gaulois» en terre africaine, un lycée dont le proviseur à l’époque n’était autre que l’écrivain français Roger Peyrefitte, futur précepteur du Prince Rainier de Monaco. Le père d’Albert Bachir, Naaman Bachir, est l’inventeur du «sacou naaman», le sac de Naaman, l’unité de mesure de la pesée d’arachide, obtenue par la couturation par le bas des caleçons arabes. Le sacou naaman équivalait à 50 kg; Si l’entrepreneur BTP Antoine Tabet a financé à Dakar les campagnes de Léopold Sedar Senghor, Kazem Charara en fera de même auprès de son successeur Abdou Diouf, Hassan Hejeij auprès d’Omar Bongo. Docteur Salim Accar a été ministre de la santé de Guinée sous Sékou Touré (1958-1962), Monie Captan, un natif de Tripoli, ministre des Affaires étrangères du Liberia (de 1996 à 2003), Ali Haidar, ministre de l’écologie du Sénégal, alors que Roland Dagher assume un rôle de conseiller en Côte d’Ivoire et Djamil Bitar, président de la fédération malienne de Football, fut un candidat à la dernière élection présidentielle (2013).
De ce lot, se détache des brebis galeuses toutefois: Le sulfureux homme d’affaires Elie Calil. Proche du dictateur nigérian Sani Abacha (au pouvoir de 1993 à 1998) a été désigné par le mercenaire Simon Mann comme l’un des architectes de la tentative de putsch contre le président équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema, en 2004, ainsi que, selon la journaliste belge Colette Braeckmann, la participation de certains Libanais au financement de l’assassinat, en janvier 2001, du président congolais Laurent-Désiré Kabila, qui s’était «aliéné la puissante communauté libanaise lorsqu’il a imprudemment confié à la société israélienne IDI le monopole de l’achat des diamants» (Les Nouveaux prédateurs, Fayard, Paris, 2003). Autres exemples de dérives: celui de l’avocat Walid Koraytem, pour des investissements douteux au Gabon dans le cadre de l’affaire Elf, et celui de Jamil Saïd, pour une implication politique et matérielle dans la guerre civile au Sierra Leone.
Par René Naba