Un quart de siècle plus tard, un homme retrouve le pays qui l’a vu naître. Il tente de reconstituer sa bande d’amis. Une chimère.
Il y a des romans qui continuent de résonner fort en vous longtemps après que vous les ayez fermé. Les Désorientésd’Amin Maalouf est de ces livres-là. On garde à l’esprit des phrases entières – «De la disparition du passé, on se console facilement ; c’est de la disparition de l’avenir qu’on ne se remet pas.» Ou encore: «Le pays dont l’absence m’attriste et m’obsède, ce n’est pas celui que j’ai connu dans ma jeunesse, c’est celui dont j’ai rêvé, et qui n’a jamais pu voir le jour.» Adam est le personnage principal de ces Désorientés, il est exilé à Paris depuis un quart de siècle et reçoit un appel téléphonique provenant de son pays natal. C’est la femme de son meilleur ami d’enfance qui lui parle: «Ton ami va mourir. Il demande à te voir.» Il hésite, prend l’avion, et lorsqu’il pose les pieds sur le sol, il apprend que l’ami vient de mourir. Il finit par rester seize jours dans le pays qui l’a vu naître. Ce sont ces jours qu’Amin Maalouf raconte. Dans les 520 pages du roman, le mot Liban n’est jamais prononcé, ni Beyrouth, car là n’est pas l’essentiel, et c’est l’universalité de ces destins qui prédomine. Les Désorientés, superbe titre, est un projet de vaste ampleur – brosser le portrait d’une génération de désenchantés. Depuis Léon l’Africain ou Le Rocher de Tanios (prix Goncourt 1993) ou ses essais Les Identités meurtrières ou Le Dérèglement du monde, on savait Amin Maalouf habitué à mener ce genre de projet en grand conteur. Adam lui ressemble sans doute un peu.
Le droit de partir
Pour ne pas perdre ses souvenirs, il tient un cahier, la chronique de ce retour au pays natal, l’homme tente de reconstituer la bande qui s’est disloquée dans le monde entier et dans certaines dérives – dire qu’ils se surnommaient «Les Byzantins»!- et finit par constater les dégâts de l’Histoire: «Nous étions des Camusiens, des Sartriens, des Voltairiens… Nous sommes devenus des chrétiens, des musulmans, des Juifs…» C’est de ses amis, de son pays qu’Adam reçoit les remarques les plus acerbes – la lettre de Tania n’est pas tendre. Les autres semblent lui dire qu’on ne quitte pas son pays, ses racines impunément ni sans décevoir. Jalousie? Envie pour ceux qui sont restés de faire la même chose que celui qui est parti? Les uns parlent d’abandon, les autres vont jusqu’à évoquer la trahison, comme si partir c’était rejoindre un ennemi. Il y a tout cela dans ce roman, et beaucoup d’autres choses. Adam, qu’il échoue dans son pays d’accueil ou qu’il réussisse (c’est pire), n’aura jamais la considération des siens. Il est devenu étranger partout, et pourtant ne dit-il pas: «Tout homme a le droit de partir, c’est son pays qui doit le persuader de rester» ?
On a envie de parler de tous ces amis qui sont autant de destins, on retiendra un personnage inoubliable: Sémiramis, celle qui a décidé de rester et qui accueille Adam dans son hôtel: malgré le temps qui a passé, elle est restée belle, elle est restée libre. On voudrait tellement qu’elle soit vraie.
«Les Désorientés», d’Amin Maalouf, Grasset, 520 p., 22 €.
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