Emile Nasr : A propos du bouquet libanais, imitons Bahjat Rizk

Pour sa première chronique si personnelle, si authentique, Bahjat Rizk nous parle de sa “joie profonde” d’avoir eu à Paris le ‘Bouquet libanais’ à la télévision, mais il conclut
catégoriquement : “Passées les fêtes de fin d’année, je crois que je vais résilier le
bouquet libanais”.
A supposer que Bahjat Rizk ait eu l’intention, dangereuse, de demander notre avis, nous qui sommes les fleurs de ce bouquet ? Qu’aurions nous à lui dire ?
 Tout d’abord que le ‘bouquet libanais’ n’est qu’un slogan
publicitaire, il s’agirait plutôt d’un jardin où seuls les cactus fleurissent, qu’il n’a eu
droit qu’à quatre chaines ou spécimens, quand en réalité nous sommes entourés
d’une multitude de chardons, d’orties, de ronces, d’aubépines, sans parler des
coussins de belle-mère et d’épines du Christ… Que toutes les couleurs sont
présentes, du bleu ciel en passant par l’orange, le rouge, le noir, le vert, sans
oublier le jaune. Que finalement son expérience est incomplète, car il n’a pas eu à
regarder quatre chaines pour savoir si oui ou non, tel repris de justice a été
appréhendé ou remis en liberté… Car ici nous avons nos Pyrénées et constatons
chaque jour vérité en deçà, erreur au-delà…
S’informer au Liban par le moyen de la télévision ou de la presse est l’exercice le
plus périlleux qui existe. C’est accepter docilement de se faire laver à petite dose
le cerveau. Le mieux est donc de faire comme la majorité, se choisir une chaine ou
un quotidien, l’adopter, le croire, penser et s’exprimer comme lui. Et tant pis si
l’on éprouve par la suite des difficultés à communiquer avec les autres !
Le parallèle que nous fait entrevoir Bahjat Rizk avec la ville-lumière est édifiant.
En France, on joue à se faire peur avec des manifestations quotidiennes qui
rassemblent moins de 0.1% de la population mais que l’on décrit comme le
nouveau mai 68, ici nous avons tous bel et bien peur, une peur réelle multiforme
qui irradie tout le corps et atteint tous les esprits. Là-bas les bérets rouge battent
le pavé ayant laissé le siècle les dépasser, chez nous les barbes noires avec leurs
mines patibulaires se préparent à vivre leur siècle d’or. A Paris les réunions
s’enchainent, gouvernement, Parlement, Bruxelles, partis politiques, syndicats,
initiatives citoyennes, rien n’en sort, mais “ça bouge”, ici l’encéphalogramme de la
vie politique est plat, et certains prédisent qu’ils arriveront à en baisser la courbe ?
Là-bas on pénalise les clients des prostituées, ici ces dernières sont remplacées
par des jihadistes femmes qui ne rêvent qu’à accomplir de la meilleure manière
leur jihad “gratos”. Là-bas on veut inverser la courbe du chômage, ici on l’ignore,
l’habillant de nouveaux métiers, au choix : miliciens, gardes du corps, trafiquants,
ou simplement de multiples métiers déguisés, livreurs en tous genres, valets
parking pour les chanceux, abonnés aux tickets alimentaires pour les autres et le
million de réfugiés…
Au Liban, il y a des abonnements à une quantité de chaines qui passent par des
officines qui elles ne règlent pas nécessairement leur abonnement. Cela nous
permet de zapper des chaines locales et aller respirer ailleurs un air d’insouciance
collective, constitué de faux problèmes face à ceux que nous affrontons.
Mais la question initiale demeure : faut-il recommander à Bahjat Rizk de décrocher
son bouquet ? Pour ma part, c’est un oui franc et massif, gardons chacun pour soi
l’idée que nous nous faisons du Liban, mais prenons l’habitude de dialoguer,
d’abord avec ceux de notre bord pour qu’ensuite nous puissions élargir le cercle.
Imaginons, pour terminer : si nous pouvions tous résilier le bouquet libanais,
laissant nos chaines, nos quotidiens, nos réseaux sociaux, seuls, sans lecteurs, rien
que pour une semaine, je suis sûr que cette thérapie ferait le plus grand bien à
tous.
Emile Nasr 
Cultural Agenda

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