Nos guerres culturelles
OPINIONS
Par Bahjat RIZK
Finalement, qu’on le reconnaisse ou pas, toutes les guerres sont des guerres culturelles. Qu’elles soient internes (civiles) ou externes (entre nations). Gilles Kepel, auteur de Passion arabe (Gallimard, 2013), qualifiait lundi la situation en Égypte comme « guerre culturelle entre les islamistes et les autres » (BFMTV).Toutefois, il est très difficile de se positionner par rapport à un conflit culturel parce qu’il présente en même temps plusieurs paramètres parallèles auxquels l’observateur pourrait, simultanément ou successivement, s’identifier pour pouvoir se prononcer et prendre position. Il y a donc au sein de notre rationalité analytique une part incompressible de subjectivité émotionnelle et même de libre arbitre. Ce qui explique les divisions inattendues et les retournements de position intempestifs vis-à-vis d’un conflit culturel, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Comment expliquer que la France trouve tout à fait justifié d’intervenir au Mali pour renverser et chasser les islamistes et qu’elle soit si sévère – pour le moins – vis-à-vis des militaires, portés par plus de 80 % de la population égyptienne, qui viennent de balayer les islamistes en Égypte? Comment expliquer dans un premier temps l’appui quasi inconditionnel aux rebelles syriens (qui comportent une part non négligeable d’islamistes) et depuis un certain temps un silence assourdissant vis-à-vis du pouvoir dictatorial soi-disant laïque, responsable à nos jours de plus de 100 000 morts et du déplacement de plus de deux millions de civils ? Comment expliquer l’attitude ambiguë et divisée au sein de l’Occident, de l’Europe, des États-Unis, des pays arabes (notamment du Golfe : Arabie saoudite et Qatar) de la Turquie, de l’Iran, d’Israël, de la Chine, de la Russie et, bien sûr, au Liban, (microcosme régional) du Hezbollah,du courant aouniste, du courant haririen, des uns et des autres ? Certes, chacun en fonction de son histoire propre (nationale, communautaire et personnelle) et de sa culture (religieuse, linguistique, raciale, démocratique ou patriarcale) va projeter sa propre inquiétude identitaire. Bien sûr, il n’y a pas d’identité définitive, mais il existe anthropologiquement des paramètres constants (paramètres d’Hérodote), variables momentanément, selon leur intensité et leur portée significative, et soumis à des configurations provisoires et à des conversions ponctuelles, selon la capacité de mobilisation et le rapport de force. C’est toute l’ambivalence entre la force et le droit, et la manière dont la force peut dans le conflit créer provisoirement ou définitivement, par le fait accompli, le droit. Tous les conflits culturels vont donc osciller en permanence entre la loi naturelle du plus fort (démographiquement, économiquement et militairement) et la nécessité rationnelle impérative de la négociation. Le plus difficile est de définir le passage de l’un à l’autre, en fonction de l’enjeu, du moment et de l’interlocuteur. Certes, les démocraties occidentales ont élaboré au fil du temps des processus pacifiques de prise de pouvoir et de négociation (alternance), mais en cas de crise aiguë et de menace existentielle, même ces démocraties sont des géants aux pieds d’argile, qui peuvent sombrer rapidement dans le populisme et la démagogie (Seconde Guerre mondiale, guerres de décolonisation, guerre froide, guerres du Golfe…). Le seuil est plus difficile à atteindre car il y a des institutions établies, des contre-pouvoirs et des garde-fous, mais les considérations de sécurité peuvent précipiter des prises de position radicales. Il n’y a peut-être pas de solution à nos guerres culturelles, mais il est important de souligner que leur mécanisme relève d’éléments objectifs. Il faudrait reconnaître que les religions sont des cultures au même titre que les langues, les races et les moeurs, même si leur importance varie selon l’histoire des individus et des nations. Ne pouvant pas totalement nous en abstraire, plutôt que de les nier ou de les idéologiser, il va falloir, vaille que vaille, les relativiser et les aménager.
vendredi, août 23, 2013