OPINION
13 avril 2013 : retour vers le futur ou fuite en avant ?
Chaque année, à l’approche du 13 avril, nous sommes pris d’une angoisse sourde qui nous submerge, comme toute collectivité traumatisée par presque quatre décennies de violence physique et verbale. Certes entre-temps la vie se poursuit et nous pensons toujours guérir de nos blessures, en nous abîmant dans une frénésie d’actions ponctuelles et immédiates, pour calmer nos douleurs lancinantes, qui ressurgissent et nous replongent à notre insu dans cette journée tragique où tout a éclaté et qui s’est bloquée, dans nos mémoires personnelles et collectives. Plusieurs initiatives symboliques, spirituelles et artistiques tentent d’exprimer en vain notre profond désarroi et essaient de nous le faire dépasser. D’autres initiatives politiques ont l’ambition de ressouder notre entité nationale, mais ni des élections ponctuelles (dont on ne parvient pas à définir harmonieusement le cadre juridique), ni un cabinet de transition (dont la nature reste imprécise), ni des nominations spectaculaires, ni de simples permutations ou changements de personnes identiques ne pourront modifier notre profond malaise structurel.
Bien sûr, les politiciens (dans le sens large du terme) et les économistes se proposent de gérer le quotidien de manière indispensable, approximative et plus ou moins rationnelle, selon les circonstances et les aléas qui leur sont souvent imposés, mais parallèlement à l’action politique et économique, le Liban continue à manquer dramatiquement d’une vision d’ensemble que seuls ses fils réunis peuvent construire entre eux de manière autonome. La prise de conscience franche et cohérente est la condition incontournable d’une identité assumée. C’est ce travail parallèle et structurant d’une rationalisation de notre crise identitaire existentielle qui est depuis un siècle remis, ajourné, occulté ou refoulé. Toutes les nations aujourd’hui, bouleversées par la mondialisation, doivent tôt ou tard faire ce travail de restructuration identitaire, dans le temps et l’espace, qui redéfinit selon des constantes leurs frontières psychologiques, les apaise et les recadre. À plus forte raison, un pays comme le Liban dont l’appartenance nationale s’est structurée autour de ses communautés, autant négativement au niveau interne (deux négations ne font pas une nation) que positivement à un niveau externe (pays message et pays du dialogue des cultures). Ce sont les deux faces opposées d’une même médaille, et plutôt que de passer en permanence de l’un à l’autre, peut-être faudrait-il, pour échapper à ce dédoublement, se résoudre à redéfinir, ou du moins à reconnaître, cette contradiction du pluralisme et de l’identité. Il n’y a certes pas de rationalité totale dans l’existence humaine puisque l’irrationalité de notre mortalité ne sera jamais résolue, mais nous ne pouvons ni rester au niveau d’un affectif primaire et traumatique ni nous maintenir de manière permanente au niveau d’un affectif transcendant et utopique. Il faudrait que le 13 avril se transforme d’une journée de commémoration honteuse, hasardeuse, coupable et mal définie, en une journée de réflexion identitaire, approfondie et assumée. Les dirigeants libanais doivent se reprendre en charge pour échapper aux sempiternelles tentations de régression et d’agression.
Avant de définir le cadre du système politique approximatif et expérimental, il faudrait définir l’appartenance (selon des paramètres objectifs) de manière cohérente. Presque cent ans après sa proclamation (1920) et à la veille de la célébration des soixante-dix ans de son indépendance (1943), le Liban reste un pays-énigme ou casse-tête, qui se cherche.
Bahjat RIZK