« Qadisha, la vallée du silence »
de
Stéphanie NASSIF
(d’après la conférence donnée au Salon du Livre Francophone de Beirut le 3 novembre 2012)
Avec consternation, je ne peux que constater une véritable fracture entre Orient et Occident à
travers les évènements dramatiques qui secouent chaque fois plus fort notre planète et j’assiste
impuissante à un écartèlement irrémédiable entre des cultures si différentes.
Il est évident que, de plus en plus, la Différence fait peur et la diversité n’est plus perçue comme un
atout mais bien comme une faiblesse. Cette Différence est vue comme une menace, un danger face
à un système de valeurs établies considérées comme des vérités, ou au contraire elle est revendiquée
comme une appartenance exclusive qu’il faut conserver à tout prix. Dans les deux cas, le résultat est
le même : on se referme sur soi-même, on refuse l’échange avec l’Autre. Bien plus, on stigmatise la
différence en mettant dos à dos des systèmes de valeurs incomparables, on oppose les cultures
jusqu’à les écarteler. Il est vrai qu’il est plus facile de rejeter la différence plutôt que de chercher à
la comprendre et à l’accepter. En effet, chercher à comprendre la différence, c’est bouleverser ses
repères et accepter de remettre en cause son propre système de valeurs.
Mais pourquoi arrive-t-on aujourd’hui à ce déchirement entre cultures ? N’est-ce pas la façon dont
nous appréhendons l’Autre qui pose réellement problème ? A l’heure où internet constitue la source
privilégiée de l’information à l’échelle planétaire, nous pouvons découvrir d’autres cultures avec
une très grande facilité. Mais ce moyen de communication est à double-tranchant, car il repose sur
un principe essentiel : la rapidité. Nous recevons l’information quasiment instantanée, avec
beaucoup d’images et peu de texte, en provenance de sources multiples qui peuvent s’avérer
contradictoires. Il en résulte souvent une absence d’explications et de justifications qui peut nuire à
l’information. La Différence, par manque d’explications, est directement perçue comme une
menace et immédiatement rejetée.
Fort de ce constat, le rôle de l’écrivain apparaît essentiel : le roman n’est pas seulement une histoire,
c’est aussi un moyen pacifique de faire découvrir réellement aux lecteurs un pays, un peuple, en un
mot l’Autre (à condition que la plume de l’écrivain reste suffisamment objective pour garantir la
vérité). Par le détail et la précision des mots, le « roman découverte » peut permettre d’expliquer la
différence aux lecteurs en présentant et en expliquant d’autres systèmes de culture. Il les amène à
réfléchir et peut leur permettre d’accepter plus facilement cette différence en la comprenant.
Ecrivaine franco-libanaise, j’ai fait l’apprentissage de la double culture et je me trouve aujourd’hui
à la croisée de deux mondes, l’Orient et l’Occident. Avec respect et compréhension, je me suis
appliquée à extraire la richesse de cette diversité, autant humaine que culturelle. Forte de cette
expérience, je cherche à travers mes livres à faire réfléchir les lecteurs sur la notion d’identité, de
différence, dans un objectif d’ouverture sur l’Autre. J’ouvre ainsi une porte de l’Occident vers
l’Orient, dans un but d’échange et de partage.
C’est ainsi qu’est né « Qadisha, la vallée du silence » (septembre 2012 – éditions L’Harmattan),
témoignage de mon expérience du Liban. A travers l’histoire d’un jeune homme qui part à la
recherche de ses origines, j’invite les lecteurs à découvrir la culture libanaise et à mieux comprendre
ce pays, qui ne peut laisser indifférent, bien au contraire : il captive celui qui prend le temps de le
connaître et essaie de le comprendre.
Mais enfin, pourquoi prôner avec tant d’acharnement l’ouverture vers l’Autre ? Parce que l’échange
entre les cultures est une véritable richesse qu’il faut sans cesse stimuler et entretenir. L’opposition
entre les cultures est stérile, il ne permet pas d’avancer, ni à titre individuel et encore moins à
l’échelle d’une société. Pour évoluer, progresser, avancer, on a besoin de la différence, on a besoin
de se remettre sans cesse en question, de ne pas vivre uniquement de ce que l’on connaît. Il faut
réapprendre à accepter la différence, la comprendre. En un mot, il faut dépasser le simple MOI pour
devenir NOUS. C’est ce qui manque aujourd’hui dans nos sociétés modernes. Où est la cohésion,
l’unité, l’identité des peuples ?
« L’identité d’un individu est la résultante complexe de ses origines, du contexte dans lequel il
évolue et des personnes qu’il rencontre sur son chemin »
Stéphanie NASSIF « La Lointaine, le sacrifice de la Nubie »
novembre 2010 – éditions L’Harmattan