Oil in Lebanon

Entre démocratie et diversité

Titanic


16/03/2012



Par Bahjat RIZK


La légitimité d’un chef doit provenir soit d’en haut, d’un ordre supérieur (divin ou patriarcal) qui s’incarne ; soit d’en bas, d’une volonté populaire démocratique, qui élève et porte au pouvoir.
Depuis la Révolution française de 1789 et toutes les autres révolutions qui ont suivi en Occident, la légitimité du pouvoir doit émaner du peuple, qui élit son chef pour une période déterminée et non plus d’un pouvoir à vie, héréditaire et absolu. Les monarchies en Occident ne sont plus que symboliques et constitutionnelles.

Nous pouvons par ailleurs observer aujourd’hui que, dans la plupart des pays du monde, on a recours à des élections qui portent des individus à la tête d’un parti, d’une instance politique ou d’un État.
Ainsi, à titre d’exemple, la campagne présidentielle en France dont le premier tour se jouera dans moins de six semaines et le deuxième tour, deux semaines plus tard, celle des États-Unis qui passe actuellement par une primaire au sein des deux partis et une élection entre les représentants des deux partis en novembre prochain, celle du Sénégal où le président au bout de deux mandats consécutifs a dû se résoudre à un deuxième tour, qu’il n’est pas sûr de remporter, et même celle toute récente de la Russie où le président-Premier ministre sortant, tout en étant élu au premier tour avec 63 % des votes, a dû reconnaître des irrégularités, dénoncées par les caméras de surveillance (plus de 70 % d’internautes à Moscou et 50 % dans toute la Russie) et promettre des enquêtes, car il sera contraint, tôt ou tard, à dialoguer, avec des opposants de plus en plus nombreux, qui continuent à manifester sur la place publique. Seul le président de la République arabe syrienne, après quatre décennies au pouvoir, père et fils confondus et après un an du soulèvement populaire (15 mars 2011) qui a fait plus de 8 500 morts, pense se maintenir par les armes au service d’un pouvoir familial et communautaire prétendument laïque et démocratique.(à plus de 90 %).
Certes les dictateurs de plus de trente ans, en Tunisie, Égypte, Libye et Yémen ont dû quitter de manière précipitée, plus ou moins dramatique voire tragique, sans avoir été remplacés pour le moment par des institutions stables et vraiment démocratiques, faisant craindre des risques de guerre civile, un reflux intégriste et des débordements passionnels. Il subsiste quand même un espoir, que ces pays longtemps maintenus dans une terreur politique et intellectuelle puissent réfléchir sur eux-mêmes et se construire dans la dignité et la modernité. Même si l’exemple d’Israël, qui continue à pratiquer une politique d’expansion et de colonialisme culturel, soutenue bon gré, mal gré par l’Occident, provoque dans le monde arabo-musulman une vague de fanatisme et une levée de boucliers, le conflit israélo-palestinien ne devrait pas constituer pour les régimes dictatoriaux d’Orient un alibi pour opprimer leurs propres peuples.
Durant quarante ans, le régime de Damas s’est maintenu en Syrie au Liban par la force armée et les services de renseignements. Ce qui a probablement assuré une certaine stabilité mais a également étouffé toutes les libertés publiques dans les deux pays voisins. Depuis 2005, la révolution du Cèdre (14 Mars) a été un événement précurseur des printemps arabes puisqu’elle est parvenue, par la mobilisation populaire pacifique, à obtenir le retrait de l’armée syrienne et à revenir à des règles un peu plus démocratiques, malgré les multiples attentats personnels politiques et le maintien des armes dont continue à bénéficier une des trois grandes communautés libanaises, créant un déséquilibre flagrant dans la vie politique et le fonctionnement de l’État libanais. Les trois grandes communautés ont en effet bénéficié toutes les trois, à un moment ou à un autre, d’une force armée qui s’est substituée à celle de l’État. La Syrie a pu alors intervenir, à deux reprises au moins (1976 et 1990), avec l’aval de la Ligue arabe et de l’Occident, pour rétablir l’ordre sur le sol libanais. C’est à croire qu’après avoir tenté en vain de syrianiser le Liban, c’est au tour de la Syrie de se libaniser. Chacun des deux pays demeure hélas prisonnier de sa logique structurelle : la Syrie, celle d’une minorité qui tente depuis quatre décennies de garder le pouvoir par la force armée et les services de renseignements sur un modèle soviétique qui s’est lui-même effondré et le Liban ; celle de trois minorités, à parts plus ou moins égales, qui cherchent des prolongements, à l’extérieur de leurs frontières, n’hésitant pas parfois à être divisées sur elles-mêmes.
Face à l’incertitude qui pèse dans les pays arabes, soutenus par l’Ouest, qui ont accompli une révolution fulgurante et même hâtive (Tunisie, Égypte, Libye et Yémen) mais où le réveil intégriste peut se révéler menaçant, et la Syrie et le Liban où les communautés minoritaires essaient de se définir des espaces et des garanties de survie, le modèle proprement démocratique (majoritaire alternée) dans un pays de diversité (minorités numériques relativement bloquées) semble entravé ou au mieux peine à se frayer un chemin et à s’établir. 
Comment aménager un pluralisme démocratique au sein d’un pluralisme culturel ? 
Comment réconcilier une universalité des droits individuels en reconnaissant des spécificités culturelles, sans créer soit une oppression de la majorité culturellement dominante, soit une montée inéluctable du communautarisme ? Entre démocratie et diversité, la question reste posée. 

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