Thursday, 26 November 2009 | |
Débat sur l’identité nationale en France et diversité culturelle selon Claude Lévi-Strauss Par Bahjat RIZK Durant la même semaine, nous avons assisté en France à l’ouverture d’un vaste chantier sur l’identité nationale, souhaité par plus de 60 % des Français et qui déjà déchaîne des passions dans les médias et dans plus de 350 préfectures, sans toutefois que les contours du débat soient définis et à la disparition du père de l’anthropologie moderne Claude Lévi-Strauss (1908-2009), inventeur du structuralisme. Cette coïncidence nous permet tout d’abord de constater qu’un État-nation comme la France (exemple jadis référent de l’État-nation) est obligé d’ouvrir un débat sur son identité nationale perturbée du fait de la mondialisation, du développement des moyens de communication et de l’idéologisation récente des identités culturelles. C’est ce que signalait déjà il y a bientôt dix ans le rapport mondial de la culture de l’Unesco publié en l’an 2000 sous le titre « Diversité culturelle, pluralisme et conflits » qui notait dans la première page de son introduction : « La plupart des conflits qui surgissent aujourd’hui au sein des États-nations ont une composante culturelle : guerre ethnique au Kosovo, affrontement au Kaduna (Nigeria), émeutes contre les Chinois en Indonésie, mobilisation de trois millions d’Indiens en Équateur… Tous ces conflits ont éclaté en un bref laps de temps depuis la publication il y a deux ans du premier rapport sur la culture (…) Les frictions engendrées par la perception des différences culturelles entre nationaux et migrants ont également fait l’actualité récente des pays industrialisés comme de nombreux pays en développement, créant un nouvel espace politique, notamment par les revendications de formes culturelles de patrimoine et d’identité. » Ce rapport est repris par le rapport mondial de l’Unesco présenté le 20 octobre 2009 sous le titre « Investir dans la diversité culturelle et le dialogue interculturel ». Il serait utile à cet égard (et plus que jamais avec sa disparition, par devoir de fidélité rendu à sa mémoire) de reprendre les deux conférences données à l’Unesco par Claude Lévi-Strauss, l’une en 1952 sous le titre « Race et histoire » et la seconde en 1971 sous le titre « Race et culture » et qui posent respectivement la problématique de l’égalité des cultures et celle de la diversité culturelle. Ces deux conférences furent publiées seulement en 2001 aux éditions conjointes Albin Michel/Unesco idées, avec une préface de Michel Izard. (Nul besoin par ailleurs de reprendre tout le travail titanesque de Claude Lévi-Strauss sur le structuralisme, il est assez connu du grand public). Il est préférable de replacer Claude Lévi-Strauss dans notre propre actualité pour avancer dans notre réflexion sur nous-mêmes. Dans la première conférence « Race et histoire », Claude Lévi-Strauss critique l’ethnocentrisme occidental et défend un certain relativisme culturel. Nulle supériorité d’une culture sur une autre. Les cultures ayant la même force et la même dignité parce qu’on trouve en chacune, aussi éloignée soit-elle, des éléments poétiques, musicaux, mythiques qui sont comme des « invariants » (Robert Maggiori, Libération, n° 8 860 du 4 novembre 2001, L’empreinte Lévi-Strauss). Claude Lévi-Strauss se présente en tant que pourfendeur du colonialisme, mais « cette défense de la diversité des cultures contre l’uniformisation du monde » deviendra un classique de l’antiracisme que Claude Lévi-Strauss reprendra dans « Race et culture » et s’il persiste dans sa dénonciation du colonialisme, l’auteur pourfend cette fois-ci les illusions du multiculturalisme et prône l’idée que les cultures pour survivre doivent conserver une certaine imperméabilité aux autres. (Antoine Gaudemar, Libération, n° 8 860, Le penseur des mondes perdus). « Les bouleversements déclenchés par les civilisations industrielles en expansion, la rapidité accrue des moyens de transport et de communication ont abattu les barrières (…) « Sans doute nous berçons nous du rêve que l’égalité et la fraternité régneront un jour entre les hommes sans que soit compromise leur diversité (…) Car on ne peut à la fois se fondre dans la jouissance de l’autre, s’identifier à lui et se maintenir différent. Pleinement réussie, la communication intégrale avec l’autre condamne à plus ou moins brève échéance l’originalité de sa et de ma création » (page 172). « Les conflits découlent de la saturation démographique de notre planète. Pour circonvenir ces périls, ceux d’aujourd’hui et ceux plus redoutables encore d’un proche avenir, il faut nous persuader que leurs causes sont plus profondes que celles simplement imputables à l’ignorance et aux préjugés » (page 173). « Les cultures ont le droit de se protéger les unes les autres, les mélanges peuvent conduire parfois à la disparition de toutes. Une certaine dose de xénophobie n’est pas inutile à la pérennité d’une société et il convient de ne pas la confondre avec le racisme. Les réflexes protecteurs relèvent de la biologie sociale et n’impliquent nullement une croyance dans la supériorité sur le voisin ou l’étranger. Seule cette croyance est condamnable car elle mène au rejet violent et à l’oppression de l’autre. Il serait absurde de ne pas tenir compte de ce fait d’un seuil de tolérance sous prétexte qu’on en refuse le concept de droit. » Replacer la démarche du débat sur l’identité nationale et la diversité culturelle, dans la perspective d’une réflexion anthropologique qui en partant d’Hérodote, le père de l’histoire et de l’ethnographie (revoir mon ouvrage Les paramètres d’Hérodote, éditions de L’Orient-Le Jour 2009 préfacé par le père Sélim Abou et l’éditorial de Claude Imbert du 18 juin 2009 dans Le Point 1 918 intitulé « L’effet Obama ») en passant par le père de l’anthropologie moderne et de l’ethnologie Claude Lévi-Strauss, aiderait grandement à le soustraire à la récupération politique ou à la subordination morale qui ne sauraient toutes les deux le résoudre. Ce n’est peut-être pas un hasard que le même jour le débat se soit ouvert et que le grand homme centenaire soit parti. Les deux textes « Race et histoire » et « Race et culture » demeurent plus que jamais d’une brûlante actualité. |