Constantes culturelles de l’identité Libanaise






Monday, 10 November 2008

Orient le Jour – Par Bahjat RIZK


À l’occasion des multiples événements culturels et politiques locaux et internationaux auxquels le Liban participe ou qu’il organise lui-même et en vue d’une réforme éducative et scolaire qui devrait précéder toutes les autres réformes, y compris politiques, il serait intéressant de dégager quelques constantes historiques et culturelles spécifiques de l’identité libanaise pour construire autour d’elles une identité culturelle nationale cohérente.


Tout d’abord l’identité linguistique arabe ne fait aucun doute. Elle est le socle et la base de l’identité libanaise. Linguistiquement, les Libanais sont arabes (c’est une évidence absolue) puisque la langue arabe est leur seule langue officielle et le dialecte libanais (lui-même dérivé de l’arabe) est leur langue maternelle. L’arabité linguistique du Liban cimente, toutes communautés confondues, leur identité nationale.
Toutefois, d’autres éléments sont également structurants de l’identité libanaise et ne présentent aucune contradiction avec l’appartenance linguistique arabe mais l’agrémentent et l’enrichissent.


Tout d’abord le passé phénicien des Libanais. Ce passé n’a pas à être prouvé historiquement puisque les traces multiples sont toujours là pour en témoigner, d’autant plus que l’héritage phénicien est prestigieux à conserver et à s’en réclamer et qu’il concerne la majorité des Libanais, toutes communautés confondues. Les Phéniciens ont inventé le premier alphabet phonétique, qui est à la base de tous les alphabets modernes aujourd’hui tant en Orient qu’en Occident, y compris l’alphabet arabe. Il a bien fallu qu’un peuple invente le premier alphabet phonétique (1100 av. J-C) pour que les autres peuples puissent au fil du temps établir leurs langues respectives.


Il n’y a pas de langue écrite avant l’alphabet phénicien. Il y a bien sûr l’alphabet cunéiforme en Mésopotamie (clous) et l’alphabet hiéroglyphique en Égypte (pictogramme et idéogramme), mais ce ne sont pas à proprement parler des langues accessibles et transmissibles. La langue phénicienne par ailleurs n’est plus pratiquée de nos jours.


Il n’y a donc aucune contradiction à être descendants des Phéniciens d’hier et à être arabes culturellement (linguistiquement) aujourd’hui. Par ailleurs, les Phéniciens ayant habité la même contrée géographique que le Liban d’aujourd’hui (six villes importantes identifiées sur la côte phénicienne dont quatre au Liban : Tyr, Byblos, Sidon et Beryte et deux en Syrie : Ougarit et Arwad) ont légué aux Libanais leur vocation de médiateurs culturels et commerciaux.


Cette interaction entre l’histoire (prouvée) et la géographie (constante) fait partie intégrante de l’identité libanaise (Preuve en est la multiplication des colloques à ce sujet au Liban, notamment celui qui doit se tenir à Beyrouth).


Un deuxième trait structurant concerne la montagne libanaise, toutes communautés confondues, car si la côte phénicienne a engendré dans les temps antiques l’expérience avant-gardiste et médiatrice phénicienne, le Mont-Liban a donné dans les temps modernes, à travers l’exemple de l’émirat du Liban, l’expérience de l’autonomie culturelle et politique au sein de l’Empire ottoman. La renaissance de la langue arabe n’est-elle pas partie de cette même montagne libanaise (l’imprimerie de Saint-Antoine de Quzhayya, dans la vallée de Qannubin, donna le premier livre arabe imprimé au Proche-Orient.


C’était le livre des Psaumes en 1610 en arabe et en syriaque selon le système karsuni. Le livre et le Liban, p.146 : les Libanais et le livre, Fouad E. Boustany qui fut à plus d’un titre le siège de la résistance culturelle arabe). L’existence de cette montagne libanaise a donc été salutaire à la langue arabe.


Le Liban moderne conserve précieusement dans sa mémoire collective tant l’expérience d’ouverture méditerranéenne et universelle phénicienne que celle de la résistance culturelle arabe. Au niveau mondial, c’est bien l’invention de l’écriture qui fait passer l’humanité de la préhistoire à l’histoire (3000 av J-C) et celle de l’imprimerie du Moyen Âge à la Renaissance (1450 la Bible de Gutenberg). Le président Sleiman s’est explicitement référé à Fakhreddine le Grand (1590-1635) dans son allocution publique à Rome (L’Orient-Le Jour du 30 octobre).


Un autre lien structurel concerne le Liban et la francophonie à travers les liens culturels que le Liban a noués au départ avec la France et depuis avec le monde de la Francophonie établie aujourd’hui sur les cinq continents (55 États membres et 13 observateurs). Le président Sleiman vient de rentrer du sommet de Québec (XIIe sommet de la Francophonie). Ce lien est encore une fois un patrimoine culturel commun pour tous les Libanais, toutes communautés confondues, car il leur a permis de s’ouvrir non seulement sur l’Occident et l’Europe (qui vient du phénicien urb : là où le soleil se couche, d’où gharb qui signifie en arabe Occident), mais également sur l’universalisme des droits de l’homme et de la démocratie, expérience initiée par la Révolution française.


Le dernier trait structurant commun pour les Libanais et qui résulte en quelque sorte des quatre traits précédents (arabité linguistique, phénicité, autonomie politique et francophonie), c’est bien l’expérience du dialogue des cultures religieuses à travers laquelle l’entité libanaise trouve aujourd’hui toute sa raison d’être en tant que lieu privilégié à l’heure de la mondialisation, de rencontre entre l’Orient et l’Occident et de convivialité culturelle au sein d’une même unité entre dix-huit communautés religieuses, pour qui le pluralisme culturel dans son ensemble constitue un patrimoine commun.


L’expérience libanaise part des villes phéniciennes (3000 ans av J-C) et du premier alphabet phonétique (1100 ans av J-C) et aboutit cinq mille ans après au dialogue des cultures.


C’est un cheminement historique qui doit être appréhendé de manière continue dans chacune de ses étapes et dont les éléments doivent se conjuguer entre eux dans une harmonieuse complémentarité pour pouvoir assurer cette fonction double du Liban : celle d’être un espace de communication et un espace d’autonomie, d’ouverture et de résistance culturelle, de rayonnement et de solidarité.


Certes, il est parfois difficile de concilier une logique de villes côtières égrenées sur le bord de la Méditerranée et une autre de villages haut perchés sur les cimes, mais la quête de l’identité libanaise doit s’articuler sur son histoire continue, millénaire, et sa géographie atypique, et intégrer ces éléments disparates comme relevant d’un même ensemble cohérent et indissociable, d’une dynamique non point suicidaire et pathétique, mais salutaire et transcendante, qui s’intériorise à travers un livre commun d’histoire honnête et réfléchi, s’assume, se renouvelle et se choisit elle-même.


 Article paru le vendredi 7 novembre 2008

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