Par Colette KHALAF le 12/05/2009
Ce soir, 18 heures, à l’hôtel « Bristol », Bahjat E. Rizk signe son essai « Les Paramètres d’Hérodote » (éditions « L’Orient-Le Jour »). Une approche ni morale ni politique, mais anthropologique de ces identités culturelles collectives.
Avocat, essayiste, professeur universitaire et attaché culturel depuis dix-neuf ans près la délégation libanaise de l’Unesco (Paris), Bahjat Rizk fonde son essai sur des recherches et des ouvrages de références anthropologiques, entre autres L’enquête d’Hérodote, Race et histoire de Claude Lévi-Strauss, ainsi que Identité culturelle et De l’identité et du sens de Sélim Abou. Le cheminement de la pensée de l’auteur s’est articulé sur deux discours parallèles. «À partir de la réalité libanaise dont je suis issu et qui m’habite, je me suis lancé vers une dimension plus universelle.» Le résultat est donc un croisement entre la préoccupation identitaire au Liban et un travail plus collectif. «Il fallait établir cette grille paramétrique et faire une compensation entre ces éléments qui peuvent être source d’enrichissement ou de conflits, ajoute-t-il, et présenter une idée cohérente et rationnelle sans qu’elle ne soit récupérée par le politique.» Les Paramètres d’Hérodote propose donc d’identifier et de reconnaître ces paramètres pour mieux comprendre les bouleversements sociaux « dans une même logique qui vise à les juxtaposer, les superposer, les additionner, les soustraire et les relativiser ». Si, dans une première partie, l’auteur prendra le soin de développer ces supports d’identité qui sont la religion, la langue, les mœurs et la race, la seconde partie est réservée à une vingtaine d’articles publiés autour du même thème dans L’Orient-Le jour entre 2000 et 2008.
« Hérodote, qualifié de père de l’histoire par Cicéron et reconnu comme le père de l’histoire mondiale et occidentale, nous donne, il y a 2 500 ans, la première définition de la nation et nous fournit par la même occasion les paramètres de structuration identitaire collective culturelle. À Xerxès, roi des Perses qui s’apprête à envahir la Grèce, les exilés grecs répondent que les Grecs sont séparés par des villes et se battent entre eux, mais dès que quelqu’un de l’extérieur arrive, ils ne forment plus qu’un seul corps, à cause de ce qu’on traduira plus tard par : « même sang, mêmes mœurs, même langue et même religion». Cet extrait de l’entretien avec Hélène Ahrweiler (L’Express 12/7/2004), rapporté en avant-propos de l’ouvrage, illustre le but de cet essai qui est d’« identifier ces paramètres et de les lier les uns aux autres, car ils expliquent et résument la plupart des conflits culturels identitaires ». L’auteur précise plus loin : «Le but n’est pas de créer une discrimination, mais de reconnaître les différences structurales pour pouvoir les dépasser.» Et d’appuyer sa théorie cognitive par une citation de la charte constitutive de l’Unesco, qui stipule au début de son article 1er: «Afin d’assurer le respect universel de la justice, de la loi, des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion…» Vingt-cinq siècles plus tard, ce sont donc les mêmes catégories qui règlent non seulement la marche de la nation, mais celle de l’univers. Enclencher le débat Dans sa préface, Sélim Abou s.j. s’attarde sur la mondialisation, principale source de changements radicaux responsables : « La mondialisation, dit-il, qui se traduit actuellement par l’ouverture des frontières, la libre circulation des hommes, des biens et des capitaux, s’accompagne de l’idéologie de la culture globale qui vise à la réduction des différences culturelles. Les revendications identitaires telles qu’elles se manifestent aujourd’hui semblent être une réaction aux effets perturbateurs de cette mondialisation. C’est dans cette dynamique que se situe Bahjat Rizk, poursuit-il, pour étudier les métamorphoses des identités culturelles collectives.» «L’identité n’est pas un état, mais un processus, souligne encore Abou. C’est une donnée historique qui se construit et se déconstruit au gré des circonstances politiques, économiques et sociales. C’est ainsi que des glissements et des déplacements s’opèrent d’un paramètre à un autre en fonction des situations.» «Peut-on faire coexister toutes ces cultures avec leurs différents paramètres? Comment pouvoir éviter les conflits identitaires culturels? La nation est-elle un bienfait ou un désastre?» Autant d’interrogations auxquelles l’essayiste apporte un éclairage simple, fondé sur les expériences de différents pays, comme la Belgique, les États-Unis, le Canada et surtout le Liban. À travers cet essai qui tente de relier dans le temps Hérodote à l’Unesco, en passant par Huntington (le père de la théorie du choc des civilisations), l’auteur soulève le débat et attend une solution «qui ne viendra qu’après une certaine maturité et rationalité de la réflexion, or le Liban, vu ses traumatismes et ses chocs, ne travaille que dans l’immédiateté». Si Les Paramètres d’Hérodote est un pavé dans la mare, Bahjat Rizk a grande confiance qu’il fera néanmoins des ronds dans l’eau. |