Dérives identitaires, fondamentalismes, pluralisme et vivre ensemble en 2012 ( Par Bahjat Rizk)

Dérives identitaires, fondamentalismes, pluralisme et vivre ensemble en 2012


Par Bahjat Rizk




Le rapport mondial de l’Unesco sur la culture publié en l’an 2000 sous le titre« Diversité culturelle, conflit et pluralisme »avait révélé que « la plupart des conflits qui surgissent aujourd’hui au sein des États-nations ont une composante culturelle »et que « tous ces conflits ont éclaté en un bref laps de temps, depuis la publication,en 1998, du premier rapport mondial sur la culture de l’Unesco ». Le fait culturel est devenu donc avec la mondialisation un fait politique et bien plus, il le devance et même l’établit, comme l’a démontré en novembre 2011, l’admission de la Palestine comme État membre à l’Unesco, avant son admission aux Nations Unies.


Cette ambivalence du culturel et du politique a donné lieu très rapidement à une idéologisation du culturel et à son instrumentalisation par le politique, sans toutefois parvenir pour autant, àconceptualiser la question de la diversité culturelle, par manque d’un cadre référentiel,rationnel. Nous avons donc à faire face soit à un déni acharné des différences culturelles au nom d’un humanisme généreux, utopique et quelque peu impuissant et béat, soit à une affirmation frénétique voire forcenée, de ces différences culturelles qui nous condamnent à rentrer dans une logique de conflits continus, interminables, vains et sans issue.


Comment gérer les flux migratoires, la libre circulation des informations et des biens,le dépassement des frontières ? D’autant plus qu’un même phénomène politique qui sollicite notre identification, autrement dit interpelle notre subjectivité, peut du jour au lendemain acquérir une autre interprétation,en faisant basculer notre mode de compréhension, d’une extrême à une autre.


L’année 2012 nous a clairement montré  que les droits individuels, étaient sacrés Dérives identitaires, fondamentalismes, pluralisme et vivre ensemble en 2012 en Occident alors que les droits collectifs, prévalaient en Orient, cela étant dû au cheminement historique et sociologique des deux parties du monde. Ainsi, selon l’angle d’approche et la lecture conditionnée qu’on en faisait, un même processus pouvait être envisagé comme une progression démocratique et une revendication de modernité, ou une régression collective et un repli réactionnaire.

Comment s’extraire des dérives identitaires,du fondamentalisme pour faire triompher le

pluralisme et le vivre ensemble ? Comment  définir un cadre anthropologique constant, sans paraître essentialiste, structurer et identifier sans discriminer, reconnaître pour pouvoir durablement aménager ?


Certes nous n’avons pas de solution  toute trouvée, à cette question récente et impromptue, qui ne saurait ni être traitée au niveau purement de l’éthique philosophique idéaliste, ni se résoudre dans le pragmatisme politique matérialiste.


Poursuivant depuis une dizaine d’années des recherches autour de cette question,il m’a semblé important, afin de ne pas rester au niveau du constat, de poser une problématique adéquate et équitable et d’échapper, au débat intrinsèquement passionnel. J’ai ainsi suggéré une démarche méthodologique qui ne prétend pas apporter des réponses immédiates, mais qui établit, autant que faire se peut, un cadre neutre de négociation.


Pour une charte des droits des minorités En effet, en revenant à Hérodote, le père de l’Histoire, qui vit le premier choc des civilisations, entre les Grecs et les Perses il y a vingt-cinq siècles, nous identifions les paramètres qui continuent à structurer nos identités collectives, à savoir « la dossier / décembre 2012 / n°427 45 langue, la race, la religion et les moeurs ».


Ces mêmes paramètres réapparaissent  en 1945, dans la charte de l’Unesco, qui évoque « les droits de l’homme sans distinction de race, de sexe, de langue et de religion ». Ainsi nous sommes confrontés à des paramètres identiques, soumis à des impératifs diamétralement opposés.Ces paramètres sont incontournables pour établir une appartenance collective et contraignants, voire discriminatoires, pour parvenir à une identité humaine basée sur l’universalisme de l’individu.


Tout conflit identitaire va emprunter obligatoirement, l’un ou l’autre de ces paramètres et parfois même convertir ou basculer d’un paramètre à l’autre, au sein d’une même société, de manière successive ou simultanée (vases communicants). Cette dynamique de la structuration identitaire devrait prendre en considération ces éléments constants, les négocier au niveau des collectivités et les transcender, dans la quête d’une identité humaine individuelle universelle. L’identité collective est réductrice et concrète, l’identité individuelle est émancipatrice et abstraite.


Pour pouvoir dépasser la différence culturelle et politique, qu’elle soit linguistique, raciale,religieuse ou sexuelle, nous devons élaborer une charte des droits des minorités, quivient compléter celle des droits de l’homme, en leur reconnaissant des droits culturelset politiques et en les inscrivant, dans une continuité positive et non dans une rupture, avec la majorité qui percevra leur apport culturel comme une valeur ajoutée, faisant progresser la société et l’empêchant de stagner, de se fermer et de se replier sur elle-même.

En « absolutisant » les différences culturelles,nous rentrons dans une logique

paranoïaque et archaïque d’élimination mutuelle suicidaire, en les relativisant après les avoir reconnues et identifiées, nous les envisageons à travers la négociation et la compensation, comme une complémentarité évolutive, bénéfique, partagée et salutaire.


En multipliant les conflits identitaires, tant  en Occident (montée de l’extrême-droite en Europe, tueries en Norvège, agressions antisémites, racismes de toutes sortes dans les deux camps, sentiments de frustration et d’insécurité) qu’en Orient (printemps ou hiver arabes, agressions raciales et religieuses en Afrique et en Asie),


l’année 2012 nous pousse à réfléchir à cette question existentielle et vitale, sans sombrer dans le politiquement correct ni favoriser des idéologies communautaristes et ségrégationnistes irréversibles. La rationalisation du débat ne pourra se faire qu’à travers des sources avérées et rationnelles, qui prennent en considération tant les droits de l’individu que ceux des minorités. ■


Bahjat Rizk
Attaché culturel
Délégation du Liban auprès de l’Unesco

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