Interrogé sur les principales qualités requises et souhaitées pour le nouveau pape,l’archevêque de Paris, président de la Conférence des évêques de France, Mgr André Vingt-Trois, connu pour son franc-parler, a répondu le 11 février, jour de la démission du pape Benoît XVI : « Qu’il ne se prenne pas pour le bon Dieu et qu’il soit ouvert aux autres cultures. »
D’une certaine manière, l’archevêque de Paris a dessiné deux traits essentiels pour le pape à venir et, par extension, pour tout chef religieux dans le monde d’aujourd’hui : d’une part, qu’il reste à sa place en tant que guide et ne se substitue pas au bon Dieu (autrement dit, exclure l’absolutisme du pourvoir sous prétexte de quête d’absolu) et, d’autre part, qu’il replace les religions dans leur dimension culturelle (autrement dit contextuelle et historique) pour empêcher de les transformer en idéologies meurtrières, ce qui n’exclut nullement leur dimension spirituelle intérieure qui relève d’un cheminement personnel et d’une démarche de liberté et de foi.
Nous savons depuis Hérodote que la religion est un des éléments structurants des identités culturelles collectives (avec la langue, la race et les mœurs) et qu’en tant qu’élément structurant, il est forcément sélectif, puisqu’il opère une différenciation, mais qu’il ne devrait pas devenir discriminatoire car toutes les cultures demeurent égales en dignité. Ainsi, plutôt que de porter un jugement de valeur sur le contenu théologique de telle ou telle religion ou de tenter de ramener la croyance d’autrui à la sienne, en se posant subjectivement comme une référence absolue, il est préférable de reconnaître l’égalité des cultures (comme l’égalité des hommes) en valeur absolue. Reste à savoir comment faire cohabiter les cultures entre elles sans qu’elles soient tentées de s’éliminer les unes les autres ?
Certes Claude Lévi-Strauss, le père du structuralisme, avait saisi cette ambivalence puisque son discours à l’Unesco avait évolué d’un humanisme idéaliste (race et histoire en 1952) à un pessimisme réaliste (race et culture en 1971) mais la question du pluralisme culturel reste aujourd’hui posée à une échelle planétaire avec la mondialisation. En émettant des souhaits concernant le profil du prochain pape, l’archevêque de Paris remet la responsabilité aux mains des hommes.
Nous sommes tous conjointement responsables de l’humanité entière.
Certes, chacun prêche pour sa propre paroisse, chaque groupe défend sa culture religieuse, mais aucun groupe ne peut accaparer la volonté de Dieu, ni sous la forme de parti politique ni sous celle de l’idéologie d’élection ou de suprématie théologique ou morale.
Après l’acte révolutionnaire de démission du pape Benoît XVI – qui restitue courageusement à la figure papale à travers sa rationalité toute son humilité, et à travers son détachement terrestre sa profonde spiritualité –, les vœux d’écoute, d’ouverture et de simplicité de l’archevêque de Paris concernant le prochain pape, inaugurent une nouvelle manière de fonder le pouvoir non sur la puissance ostentatoire mais sur la capacité de comprendre et de s’élever en acceptant ses propres limites.
L’approche d’anthropologie politique des religions en tant que cultures est la seule qui puisse empêcher de les transformer en idéologies totalitaires de pouvoir (au même titre que les langues, les races et les mœurs). Un homme qui ne se prend pas pour le bon Dieu et qui est à l’écoute des autres cultures n’est pas uniquement le profil souhaité du prochain pape mais de tout dirigeant ou décideur de premier plan aujourd’hui consciencieux et responsable.
Bahjat Rizk
mercredi, mars 13, 2013