Les Entrepreneurs Libanais à Sao Paulo: Une Mobilité Sociale Ascendante
Dr. Elsa El Hachem-Kirby
J’ai grandi à Paris avec des origines à la fois irlandaises et libanaises. L’histoire du Liban et de l’Irlande au cours des deux derniers siècles, présente des similitudes. Elle est marquée par la migration à grande échelle, souvent liée aux manques d’opportunités économiques dans le pays. Aujourd’hui, dans les deux pays, à chaque crise économique, les réflexes de l’émigration resurgissent. L’émigration et l’immigration font donc partie de mon histoire familiale d’Elsa.
C’est lors d’une première visite à Rio de Janeiro il y a quelques années, que mon attention fut attirée par un vendeur de plage, vêtu d’un tissu blanc couvrant sa tête qui évoquait un style de robe moyen-oriental. Il vendait des bouchées de kibbe et de sfiha. J’ai trouvé l’intégration totale de la nourriture libanaise dans l’alimentation brésilienne surprenante. Lors de cette même visite, j’ai remarqué que de nombreux noms de commerces et de rues étaient à consonance libanaise, à la fois à Rio de Janeiro et à Sao Paulo. En prenant conscience du succès de cette population, j’ai donc voulu procéder à une étude approfondie du succès apparent de ce groupe de migrants.
Le nombre de success-stories, synonyme d’ascension économique et sociale au sein de la collectivité libanaise au Brésil abondent. Tant et si bien que l’image de la mobilité sociale ascendante de Brésiliens d’origine libanaise est devenue un stéréotype dans la conscience collective brésilienne. Ma thèse de doctorat en sociologie, intitulée Les Entrepreneurs Libanais à Sao Paulo: Une Mobilité Sociale Ascendante et défendue à la Sorbonne en Novembre 2012, a examiné les facteurs qui contribuent à la réussite de cette population dans les affaires et la politique.
Il existe actuellement au Brésil, une importante population d’origine libanaise estimée, en fonction des sources, à plus de 5 millions (le manque de statistiques solides complique les estimations). La capitale financière Sao Paulo représente leur principal centre de ralliement. Il s’agit d’une population qui s’est constituée au fil des vagues successives de migrants venus au Brésil à partir de la fin du 19ème siècle, et de leurs descendants. Ce groupe organise son propre espace collectif comme une société à part entière, avec ses lieux de culte, ses associations, ses clubs, ses revues et magazines et ses nombreux autres types d’institutions. Le groupe s’est enraciné au Brésil et ses membres ont diversifié leurs secteurs d’activité économique, en s’investissant dans différents secteurs de l’économie brésilienne. A l’origine, cette population a commencé par le colportage et l’établissement de petits commerces et entreprises familiales. Aujourd’hui encore, l’entreprise demeure le moteur de leurs aspirations sociales, politiques et économiques au Brésil.
S’il est vrai que d’un bout du spectre les success-stories font légion et que ce groupe d’immigrants relativement défavorisés par rapport à leurs homologues italiens, allemands ou espagnols de la même époque, a atteint des sommets extraordinaires de la gloire et la fortune – certains ayant rejoint les plus hautes sphères politiques, à la fois aux niveaux local et national, ainsi que les réseaux politiques et industriels internationaux – à l’autre bout du spectre, ils n’en demeurent pas moins que certains sont restés à la marge de la société. Néanmoins, cette étude sociologique a cherché à mettre en lumière les facteurs qui ont contribué au succès de ce groupe au sein de la société brésilienne, tout en abordant une série de questions auxquelles cette collectivité a dû faire face.
En poursuivant l’ascension sociale des entrepreneurs libanais de São Paulo, on ne peut que s’interroger sur le type de configuration sociale qu’ils ont adopté à l’égard de la société brésilienne. Dans son ensemble, le groupe en question tend-t-il vers une plus grande ouverture ou plutôt vers un confinement ? Est-ce que ce groupe converge vers un état de fusion avec la société au sens large ou bien reste-t-il dans un état intermédiaire, dans une société ethniquement mixte? Jongle-t-il entre les deux premières alternatives mentionnées ou les contourne-t-il dans une direction qui resterait à identifier? Telles sont les questions qu’a soulevée l’étude en question. Aussi les réponses qui y furent apportées ne manqueront certainement pas de conduire, pour leur approfondissement, à de nouvelles recherches sociologiques.
Elsa El Hachem-Kirby, Dr. – Université René Descartes, Faculté des Sciences Humaines et Sociales Sorbonne – Pôle Cité Sorbonne
Thèse intitulée: Les Entrepreneurs Libanais de São Paulo: Une Mobilité Sociale Ascendante
A la publication de cet article Elsa El Hachem-Kirby souhaiterait rendre hommage au Lebanese Heritage du WLCU-BC Council pour sa contribution active à la recherche sur tous les aspect de l’histoire et de la culture libanaise au Liban et à travers le monde.