Coup de coeur: Les quatre amis de Tyr (Par Jabbour DOUAIHY)

Coup de coeur

Les quatre amis de Tyr






Le roman libanais se porte bien. Trois vétérans (Élias Khoury pour Sinalcol, Hoda Barakat pour Le royaume de cette terre et Rabih Jaber, pour la troisième fois, pour Les oiseaux du Holiday Inn) et une quatrième plus jeune (Jana Hassan pour Elle et les autres) figurent cette année dans la longue liste du prix du Roman arabe communément appelé le Booker arabe. Le Liban a toujours été, et à juste titre, surreprésenté dans le palmarès de cette compétition où rivalisent plus de 120 romans venus de tous les pays arabes. Par ailleurs, la récente foire arabe du livre tenue au BIEL a dévoilé une bonne relève romanesque avec une douzaine de nouveaux venus dans l’écriture du genre : Marie Kossaifi qui a reçu cette année le prix Hanna Youakim du roman libanais pour son roman La faute à la France, Hilal Chouman avec Limbo Beyrouth, Sahar Mandour avec 32, Narmine Khansa avec Ta part de paradis, Ahmad Mohsen avec Le Faiseur de jeu… et une petite majorité féminine quand même. Rachid Daif se fait rééditer chez Dar es-Saqi, Hassan Daoud continue sur sa lancée avec un nouveau roman, Pas de chemin vers le ciel… et Abbas Beydoun qui confirme l’attrait du genre prend pratiquement congé de la poésie pour publier son troisième roman, L’heure fatale…

Alors que dans son précédent livre, L’Album des pertes, l’autofiction (l’âge avancé, les parents, les femmes, les livres…) permettait encore au poète de s’exprimer en retrempant sa plume dans l’expérience de l’intimité et l’art élégant de la métaphore, Sa’at el Takhalli (L’heure fatale) se veut l’expression d’un destin bien plus collectif, à savoir l’engagement politique de gauche surtout dans sa forme libanaise (ou plutôt sudiste) dégradée. L’histoire se déroule d’ailleurs dans une petite ville proche de la frontière israélienne et qui ressemble bien à Tyr, lieu natal de l’auteur. Face à une invasion de l’armée de l’État hébreu, les organisations palestiniennes censées défendre la ville contre l’ennemi de toujours opèrent ce qu’elles appellent un repli tactique vers la capitale avec armes et bagages, entraînant avec elles les responsables du Parti communiste. Profitant du vide, une formation islamiste surgie de nulle part, entre le camp des réfugiés palestiniens et les petits quartiers de la ville, et portant le nom prometteur de L’Éveil, entend gouverner la ville encerclée de toutes parts, entraînant des déboires dramatiques allant jusqu’aux liquidations fratricides. Quatre amis (et deux comparses) pris au piège se relaient avec un débit inégal pour raconter parfois leur quotidien et revenir sur leur enfance ou leurs amours, et souvent pour dire leur désenchantement.



Fawaz Assaad, l’observateur cynique qui exprime un peu la sensibilité populaire, Nadim el-Sayyed, le macho au grand cœur qui vit une curieuse expérience d’adultère avec l’aval de sa propre femme, Pierre Medawar qu’attire la musculature des combattants et la roujoula des camarades plus que leur comportement politique, et Salah el-Sayes, le militant communiste entré au parti comme on entre en sacerdoce…



Roman bavard avec une chorale plus ou moins bien gérée sur un petit fond d’intrigue remontant le destin d’un obscur cheikh islamiste, mais aussi et avant tout requiem pour une génération qui voit voler en éclats les rêves d’engagement dans la chose publique et dont il ne reste peut-être que des bribes d’amitié indéfectible. Apprenant de son exil canadien la mort de Nadim, Michel Medawar, le chrétien du groupe, veut croire qu’il y a un rendez-vous secret, « une date qui n’est pas fortuite, quelque chose qui s’est maintenant accompli après avoir fait de brèves apparitions année après année. Les lieux ont déménagé et Nadim est venu ici jusqu’à moi ».





Par Jabbour DOUAIHY

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