En compétition contre 25 web-séries au festival Webfest Marseille, ‘Fasateen’, produit au Liban, a remporté le grand prix du Jury, et a également récompensé Petra Serhal pour sa prestation dans le rôle d’Aliya.
Il n’est pas surprenant d’apprendre que derrière la web-série ‘Fasateen’, qui a été doublement récompensée au Webfest de Marseille, se trouve la même productrice que ‘Shankaboot’. Récompensée aux Emmy Awards en 2011, ‘Shankaboot’ a été une révolution à elle seule : c’était la première web-série du monde arabe. ‘Fasateen’, le nouveau projet de la productrice, disponible sur Internet en dix épisodes, raconte les destins de trois femmes trentenaires qui doivent faire face à des décisions parfois difficiles dans leur vie quotidienne. Il y a Lama, qui vit avec ses deux enfants au Liban pendant que son mari travaille à Dubaï, Karma, une célibataire aux parents conservateurs et Aliya une mère qui élève seule son fils. Cette dernière est incarnée par Petra Serhal, qui ne s’attendait pas à cette récompense pour son premier rôle dans une web-série.
Pas d’acteurs connus, un choix de la production
Katia Saleh la productrice explique ses choix de casting : “On ne voulait pas d’acteurs connus ou trop professionnels. C’est un choix que l’on avait déjà mis en place pour ‘Shankaboot’. On ne veut pas de stars, on veut éviter que les personnages soient déjà catégorisés dans un rôle de méchant ou de gentil”. Un postulat qui convenait parfaitement à Petra Serhal, artiste multidisciplinaire. Formée au théâtre à l’université libanaise, ayant déjà une expérience dans plusieurs courts métrages, elle se consacre particulièrement aux performances artistiques et théâtrales. Le projet de ‘Fasateen’ lui a plu : “Je ne me sens pas proche du tout des séries libanaises traditionnelles, celles diffusées à la télévision, je n’aime pas leurs scénarios. Mais ‘Fasateen’ avait quelque chose de différent : le scénario met les personnages dans des situations réelles et ils parlent comme n’importe qui pourrait parler. C’est plus réaliste. En plus, j’ai vraiment trouvé intéressant que le spectateur puisse choisir entre deux fins”, confie-t-elle.
Le Liban, terre d’expérimentation pour les web-séries
Car c’est là aussi l’un des aspects novateurs de ‘Fasateen’ : le spectateur peut choisir entre deux dénouements à la fin de chaque épisode. Un choix que seul un format web a rendu possible. Katia Saleh explique : “Je voulais expérimenter et c’est important pour des formats Internet d’être plus interactifs qu’à la télévision. On a un retour immédiat des spectateurs, on sait ce qu’ils ont aimé, ils peuvent commenter et même débattre. Et j’ai choisi d’ajouter quelque chose en plus : proposer deux fins alternatives. C’était aussi pour donner à la femme arabe deux alternatives, parce que dans le monde arabe, la femme ne connaît pas toujours les choix qui sont à sa disposition. Par exemple, une femme battue par son mari ne sait pas toujours que le quitter est une option”. Le résultat est là, les internautes n’hésitent pas à réagir et les femmes, indépendantes ou conservatrices, n’hésitent pas à débattre sur la plateforme sociale, commentant tel fait ou geste : “Elle n’aurait pas dû faire ça, c’est haram!”, écrit l’une d’elles.
C’est grâce à cette approche originale et au travail précédent de Katia Saleh sur ‘Shankaboot’ que sa série a été choisie parmi d’autres. Elle a répondu à un appel d’offre de Yahoo, qui souhaitait diffuser sur sa plateforme vidéo une série sur et pour les femmes arabes. Si la productrice se réjouit de la liberté que peut offrir un format web, elle module tout de même : “Internet reste plus libre, on peut critiquer qui l’on veut ou faire des scènes de nu. Mais au final, on s’autocensure parfois car on veut que nos web-séries marchent aussi là où il y a le plus grand nombre d’internautes : en Arabie Saoudite”.
Les web-séries au pays de l’Internet lent…
Si les web-séries libanaises s’exportent bien et sont regardées dans le monde entier, il reste un paradoxe de taille : le Liban est l’un des pays où le débit Internet est le plus lent au monde et il est parfois impossible de télécharger complètement un épisode, même court. Katia Saleh s’est retrouvée face à un problème pour la diffusion de ‘Fasateen’ au Liban : la plateforme vidéo par laquelle la série était diffusée imposait la qualité de la vidéo en fonction du débit de connexion. Donc pour une connexion lente, une vidéo de piètre qualité… Mais les réalisateurs libanais ne se laissent pas décourager, ‘Shankaboot’ a ouvert la voie à de nombreuses créations. Parmi les plus connues récemment : ‘Mamnou3!’ satire de la censure qui touche les artistes libanais, ou encore ‘Beirut I love you’, qui suit la vie quotidienne de jeunes Beyrouthins. Le succès est au rendez-vous, on compte plusieurs dizaines de milliers de vues par épisode de ‘Shankaboot’. Cette web-révolution a inspiré d’autres pays arabes qui commencent à créer aussi des formats courts pour Internet. Et, signe indéniable de la montée en puissance du phénomène au pays du Cèdre, la section audiovisuel de l’ALBA a intégré cette année à son cursus niveau licence un atelier de formation… aux web-séries. Une première dans le monde arabe, qui pourrait susciter de nouvelles vocations auprès des apprentis réalisateurs et faire basculer le Liban dans l’ère du transmédia. –