Identité et immigration : les libanais au Québec Par Sari Madi, Candidat au doctorat

Éditorial 


Identité et immigration : les libanais au Québec



Par Sari Madi, Candidat au doctorat   



Issus d’un milieu agricole, les premiers immigrants libanais arrivés au Canada se tournaient vers le commerce pour gagner leur vie. Ils travaillent majoritairement comme vendeurs ambulants au début, pour ensuite tracer, chacun à façon, leurs histoires de réussite. Nous soulignons dans les paragraphes qui suivent particulièrement deux histoires de réussite au Québec : celle d’Annie Midlege, ainsi que celle de la famille Lawand[1].



Après un court séjour à New York, Annie Midlege arrive à Ottawa vers 1895. La veuve libanaise de 30 ans saisit toutes les opportunités de travail à portée de main. Puis, elle se lance en commerce, et vise principalement les Autochtones ; elle apprend leur langue et elle échange ses marchandises contre leur fourrure. Elle n’a appris par ailleurs ni le français, ni l’anglais, mais la langue de ses clients. En l’espace d’une dizaine d’années, madame Midlige installe son premier poste d’échange de fourrure, et fait concurrence à la plus vieille entreprise en Amérique du Nord, soit la compagnie de la Baie d’Hudson[2].



Une autre histoire de réussite en matière d’intégration des pionniers libanais a été écrite par la famille Lawand. Cette famille va jouer, durant la première moitié du vingtième siècle, un rôle important dans la vie culturelle cinématographique à Montréal où Najeeb et Amine fondent leur compagnie Confederation Amustments. Entre 1909 et 1938, la compagnie gère diverses salles de cinéma, dont une salle à thématique égyptienne. Ces pionniers ont ouvert la voie aux nombreux Libanais qui, depuis maintenant plus de 125 ans, marquent la vie de la province francophone du Québec par mille et une façons.



Depuis les années 1970, le Canada a passé d’un processus d’assimilation des immigrants au groupe majoritaire à une quête d’une société pluraliste. Le but est d’éliminer toute hiérarchie ethnique existante à l’échelle de la société[3]. Cette politique multicultariste canadienne permet aux Néo-Canadiens de maintenir et de valoriser leur patrimoine culturel et religieux. Face au modèle canadien, le Québec adopte un modèle d’intégration basé sur l’interculturalisme où on cherche à établir une culture publique commune. Cette culture commune signifie la convergence vers la culture québécoise de tradition française. Les différentes communautés sont invitées à contribuer à cette identité collective basée sur la langue française, mais aussi sur la sécularisation et la laïcité politique.   



Ajoutant à cela le contexte dans le pays d’origine, les Libanais habitant le Québec ont ainsi à composer avec au moins deux sphères d’intégration. Le système confessionnel en vigueur au Liban depuis l’indépendance – mais qui a été consenti, faut-il le rappeler, par l’Empire ottoman – fait écho au sein de la communauté diasporique. Les études sur les Libanais au Canada notent la faiblesse du réseau associatif libanais à cause des divisions qui règnent parmi la communauté[4]. Ces divisions sont dues aux différences socioéconomiques prémigratoires, ainsi qu’à l’affiliation confessionnelle et à l’orientation idéologique politique[5]. Nous n’ajoutons rien de nouveau en soulignant la complexité de l’identité libanaise, qui résulte de l’identification de l’individu à quatre niveaux (national, religieux, confessionnel et culturel)[6]. Toutefois, lors d’un processus d’intégration dans un nouveau pays, il semble avoir une rupture (culturelle, sociale et émotive) qui amène à un nouvel équilibre identitaire[7]. De plus, les identités sont continuellement en interaction avec leur environnement social, juridique, culturel et politique, et il semble que l’environnement sécularisé serait le catalyseur d’une déconfessionnalisation de l’identité libanaise[8].



Il s’agit là, à notre avis, d’une opportunité à saisir. Le système libanais consolide le lien entre les confessions et l’identité du citoyen par l’intermédiaire du confessionnalisme politique et juridique existant au pays. Mais alors pourquoi ne pensons-nous pas à des mesures concrètes pour réduire les effets négatifs du système?



Une annonce d’un évènement qui s’est passé récemment à Montréal nous a inspiré des éléments de réponse à cette question. En effet, il y a quelques mois, l’Université de Montréal a pu mettre sur pied un cours sur le sikhisme grâce à la générosité d’un homme d’affaires montréalais d’origine indienne[9]. L’insertion dans la structure institutionnelle académique favorise en générale la production de la connaissance et la reproduction des personnes dotées des dispositions nécessaires à la compréhension et l’utilisation de cette connaissance. Loin de l’aspect introductif que le cours sur le sikhisme revêt, un cours conçu pour analyser les défis auxquels le Liban et les Libanais font face peut faire un changement dans l’état de choses.  



Cet appel pour un « cours de dialogue » s’inspire du mouvement « Lebanon a Land of Dialogue[10] ». Un mouvement initié par l’Université Notre Dame de Louizé pour désigner le pays comme une terre de dialogue entre les civilisations et les cultures. Bien que le mouvement vise le niveau international, nous pensons que pour qu’un changement se produise, tous les moyens doivent être mobilisés, tant au niveau international qu’au niveau national. D’autant plus que l’immigration des Libanais se fait selon des chaînes migratoires : les frères et les sœurs se suivent, les fils et les filles suivent les pères, et ainsi de suite[11]. En ce sens, les liens entre les immigrants et leurs villes et villages d’origine restent étroits. Le dialogue entamé dans les communautés diasporiques se fera écho dans un pays dans une situation qui ne cesse de s’aggraver.







[1] Les informations sont tirées de S. Aoun et S. Madi « la communauté libanaise au Québec : appel de liberté et quête de l’excellence ».



[2] P. Leney, « Annie Midlige, Fur Trader – A Lebanese Widow Defies the HBC ».



[3] L. Atallah « L’intégration socioprofessionnelle des femmes libanaises mariées et immigrés au Québec »



[4] S. Fortin « Destins et défis ». p.64



[5] K. Lebnan « Itinéraires identitaires chez des immigrants libanais de Montréal : le cas de l’identité confessionnel ». p. 36



[6] S. Abou (1997). Cités dans Lebnan.



[7] L. Atallah, p.68



[8] K. Lebnan, p. 118



[9] http://www.ftsr.umontreal.ca/nouvelles/2015/20150219.html



[10] https://www.change.org/p/excellency-general-secretary-of-the-un-designate-lebanon-as-a-land-for-dialogue



[11] S. Aoun et S. Madi, p. 199

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