Prince Gharios of Ghassan

Conférence « La francophonie racontée au féminin » Par Stéphanie NASSIF.

Une identité « mosaïque »


Je souhaite commencer mon intervention Conférence


« La francophonie racontée au féminin »


 


Organisée le 26/03/2015par l’Université Libanaise de Tripoli – Département de Langue et de Littérature Françaises


 


Intervention de Mme Stéphanie NASSIF :


La francophonie transposée



Née en 1974 à Rennes (France), Stéphanie NASSIF, écrivaine franco-libanaise, se trouve à la croisée de deux mondes, l’Orient et l’Occident. Avec respect et compréhension, elle s’est appliquée à extraire la richesse essentielle de cette diversité. Elle retranscrit cette expérience au travers de ses ouvrages, mélange de cultures et de rencontres.



par une citation, extraite de mon premier roman intitulé « La Lointaine, le sacrifice de la Nubie ».


Je cite :


            L’identité d’un individu est la résultante complexe de ses origines, du contexte dans             lequel il évolue et des personnes qu’il rencontre sur son chemin.


A ce titre, je définis ma propre identité comme une mosaïque culturelle. Je suis en effet :


–          française par mes origines,


–           libanaise par le cœur, puisque je vis actuellement au Liban,


–          et franco-libanaise par l’esprit.


Pourquoi franco-libanaise ? Parce je me trouve aujourd’hui à la croisée de deux mondes, l’Orient et l’Occident. Avec respect et compréhension, je me suis appliquée à extraire la richesse essentielle de cette diversité provenant de deux mondes différents.  Par le biais de ce parcours atypique – d’ordinaire, c’est généralement les Libanais qui émigrent vers la France – j’ai ainsi construit ma propre identité, qui est le résultat d’une interconnexion culturelle.


De cette expérience enrichissante, j’ai pu tirer une conclusion très simple : l’identité d’un individu n’est pas figée, elle évolue au cours de la vie, en fonction des aptitudes d’ouverture sur l’Autre. J’en suis le témoin, et, pour bien vous le faire comprendre, je vais utiliser une image très simple, celle d’un arbre :


            Mes racines sont françaises


                Elles puisent aujourd’hui leur nourriture dans la terre fertile de l’Orient


                   Mes fruits ont atteint une pleine maturation, gorgés du nectar de la diversité.


Je reviendrai un peu plus tard sur cette notion d’identité, qui a pris tant d’importance depuis quelques années et qui constitue aujourd’hui une source d’écartèlement des cultures. Dans l’immédiat, je vais vous présenter mes différents ouvrages, qui s’inscrivent dans un cadre de découverte de l’Autre.



Une œuvre à la découverte de l’Autre


Je retranscris l’expérience de la diversité à travers mes romans, qui constituent un mélange de cultures et de rencontres. Avant de vous présenter ces ouvrages, je souhaiterais m’attarder quelques instants sur l’intérêt du livre. Quel sont les objectifs recherchés par l’écrivain ? Bien évidemment, le premier, c’est d’offrir à ses lecteurs une histoire qui va capter leur attention et les faire voyager dans un monde imaginaire, en leur apportant un certain plaisir. Mais bien plus, le roman est un moyen pour l’auteur de transmettre un message. Dans cette optique, je vais vous présenter mes différents romans selon deux axes :


–          le premier, littéraire, en vous donnant un résumé succinct de l’histoire ;


–          le second symbolique, en vous livrant le message que j’ai souhaité transmettre aux lecteurs.





La Lointaine, le sacrifice de la Nubie


Mon premier roman s’intitule  « La Lointaine, le sacrifice de la Nubie », paru en 2010. L’histoire commence en 1934, au sud de l’Egypte. Fargun, un jeune adolescent âgé de quatorze ans, mène une existence tranquille dans un village de Nubie sur les bords du Nil. Sa vie est rythmée par le cycle des saisons qui s’achève avec la crue du fleuve. Mais les surélévations du premier barrage construit en 1902 puis la réalisation en 1964 d’un immense lac de retenue au sud d’Assouan vont totalement bouleverser le destin de Fargun et de son peuple.


Je retrace dans cet ouvrage le destin du peuple nubien vivant sur les rives du Nil au sud d’Assouan, sacrifié par l’Egypte lors de la construction du Grand Barrage sur le Nil en 1964. Je montre ainsi tous les efforts déployés par ce peuple pour conserver ses traditions.


Je vais à présent vous lire un court extrait de cet ouvrage :


« Depuis quelques semaines, comme chaque année à la même époque, le fleuve au cours ordinairement si tranquille s’était soudain animé d’une force obscure, grossi par les eaux venues des montagnes voisines. Ses flots tourbillonnants charriaient sur leur passage quantité de matériaux arrachés aux berges et se préparaient, à l’issue d’un grand périple à travers l’Afrique, à déverser ce limon si fertile sur les terres     sèches et arides de l’Egypte. Depuis des siècles, de cette crue dépendait l’avenir des habitants de ce pays, soumis aux caprices du Nil.  »



Ce roman a fait l’objet d’une conférence à l’Ambassade d’Egypte à Paris.


Je me limiterai à cette présentation très rapide, préférant insister sur les autres ouvrages qui parlent du Liban. 



Qadisha, la vallée du silence


Mon second roman « Qadisha, la vallée du silence » est paru en 2012, il a  été sélectionné par l’Ambassade du Liban à Paris pour le prix littéraire France Liban 2013. L’histoire se déroule entre la France et le Liban et raconte l’histoire d’un jeune homme, qui, apprenant un secret de famille, part à la recherche de ses origines au Liban. Il y fait la connaissance du jeune Toni, qui accepte de l’aider. Une grande complicité naît entre les deux hommes. Cette amitié riche en surprises va les amener au cœur de la vallée de Qadisha, qui finira par leur livrer la clé du mystère qui les entoure.


« Qadisha, la vallée du silence » est un roman « découverte », découverte du Liban à travers la vallée de Qadisha et la plaine de Koura. C’est également un roman à suspens, certains lecteurs m’ont même parlé d’un livre « haletant »,  puisque l’action nous entraîne à la recherche du passé et ne nous livre la clé du mystère que dans les dernières pages.


Je vais à présent vous lire un court extrait de cet ouvrage :


            Après une demi-heure de route dans un cadre naturel exceptionnel, ils arrivèrent à Hasroun, petit village typique aux maisons en pierre couvertes de tuiles rouges       construites sur un piton rocheux. Toni obliqua vers la gauche et s’engagea sur une voie plus étroite, bordée d’une végétation dense.


            — A présent, nous commençons la descente, annonça-t-il en roulant au pas. Ouvre             bien tes yeux, je te présente la vallée de Qadisha dans toute sa splendeur, ajouta-t-il          au détour d’un virage.


            Face à eux se dressait une falaise rocheuse avec un aplomb de plus de deux cents   mètres ; sur le versant opposé, une forêt de jeunes cèdres ; au fond à droite, un       monastère entouré d’oliviers. Ici, la nature s’exprimait sans contrainte, libre et    épanouie.



Contribuant à la promotion du patrimoine culturel et naturel du Liban, « Qadisha » a reçu le prix d’honneur de la NDU lors d’un colloque sur les écrivains qui ont écrit sur le Liban Nord.



Quelle est la valeur symbolique de ce roman ? A travers cet ouvrage, j’ai souhaité témoigné de mon expérience du Liban. J’ai en effet constaté à plusieurs reprises que l’image du Liban depuis la France reste très liée à la guerre civile. C’est sous l’angle de Beirut bombardé que la plupart des français perçoivent ce pays. L’actualité de ces derniers mois nous ramène malheureusement à cette triste réalité, comme une fatalité. Pourtant, depuis plus de 10 ans que je fréquente ce pays et ses habitants, j’ai eu l’occasion de découvrir que le Liban ne se réduit pas et ne doit pas être réduit à cette image du passé. Le Liban est avant tout un pays d’hommes et de femmes qui témoignent d’une exceptionnelle force de vie et de résistance, malgré l’instabilité, les crises régulières et les difficultés.  Le Liban ne peut laisser indifférent, bien au contraire, il captive celui qui prend le temps de le connaître et essaie de le comprendre.



Le trésor du temple de Melqart
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Mon troisième roman intitulé « Le trésor du temple de Melqart » vient tout juste de sortir en France. Il raconte l’histoire de la construction du temple de Melqart au temps d’Hiram le Grand, roi de Tyr, sous les directives de l’architecte Adoniram, à la tête d’une confrérie d’artisans de renommée. Avec intelligence et sagesse, Adoniram s’efforce de développer la communauté d’artisans à travers la construction du temple de Melqart. Mais il devra se montrer prudent, car les Forces du Mal rôdent autour de ce projet pharaonique qui suscite de nombreuses convoitises !


Je vous livre un extrait de cet ouvrage :


            Juchée sur un promontoire rocheux surplombant la mer, la ville de Tyr était réputée           imprenable, protégée par une épaisse muraille de pierre et enveloppée de flots    tourbillonnants empêchant tout accès aux envahisseurs. Située à moins d’un kilomètre   de la terre ferme, cette île ressemblait à un bateau ancré aux portes de la    Méditerranée, dont elle maîtrisait une bonne partie du commerce maritime grâce à de        nombreuses colonies stratégiquement réparties sur le littoral jusqu’à l’extrémité de la     péninsule ibérique. A cette époque en effet, en l’an 972 avant Jésus Christ, Tyr était la    cité la plus puissante de la Phénicie[1], une étroite bande côtière s’étendant d’Ougarit   au mont Carmel, délimitée à l’est par deux grandes chaînes de montagnes recouvertes      de forêts de cèdres, de sapins et de genévriers. Ses habitants, les Phéniciens,            rayonnaient dans tout le bassin méditerranéen, diffusant leur culture et leur art,   exploitant les richesses de chaque territoire conquis. Reconnus comme étant         d’excellents marins, ils étaient aussi de redoutables commerçants, spécialisés dans le       négoce et la transformation de matières premières.



En mêlant l’histoire au genre policier, cet ouvrage met en exergue l’héritage phénicien, qui s’est dispersé sur les rives de la Méditerranée.


Outre l’intérêt du récit, quelle est la perspective symbolique de ce roman ? En fait, j’ai voulu ici montrer que les hommes, malgré leurs différences, qu’elles soient culturelles ou encore religieuses, sont capables d’unir leurs efforts pour œuvrer à un projet commun, en l’occurrence ici la construction de ce fameux temple de Melqart.


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Francophonie transposée, francophonie d’échanges


Quel rapport, me direz-vous, avec la francophonie racontée au féminin, qui constitue le thème de cette conférence ?


Je souhaiterais tout d’abord insister sur le rôle du français en tant que langue de culture et de communication. Pour vous le prouver, voici quelques chiffres fournis par l’Organisation Internationale de la Francophonie lors du dernier Sommet de la Francophonie au Sénégal en novembre 2014 :


–          Le français est aujourd’hui la 5ème langue la plus parlée au monde avec 274 millions de locuteurs


–           Le français est la 2ème langue apprise comme langue étrangère après l’anglais


–          Le français est la 3ème langue des affaires dans le monde


–          Le français est la 4ème  langue la plus utilisée sur internet


Le français, c’est bien sûr la langue des grands penseurs, écrivains, poètes, philosophes : Montaigne, Voltaire, Rousseau, Hugo, Baudelaire, pour n’en citer que quelques-uns.


Le français, c’est aussi la langue de la culture : la chanson française et son éternel romantisme ; la gastronomie française reconnue dans le monde entier ; et pour vous mesdemoiselles, n’oublions pas le domaine de la mode et de l’élégance, avec les défilés parisiens et les parfums de renommée.


Dès lors, nous ne pouvons nier l’importance de la francophonie dans le monde entier. Dans le cas de mon parcours personnel, je parlerais plutôt de francophonie transposée : je suis en effet d’origine française, mais j’ai choisi de m’installer au Liban et d’écrire sur le Liban, pour un public français et libanais. Une francophonie d’ouverture à l’Autre, qui constitue un atout considérable face au risque d’écartèlement des cultures auquel nous assistons depuis un certain temps.


Attardons-nous un instant sur cette notion d’écartèlement des cultures, qui semble prendre de plus en plus d’ampleur ces dernières années, nourrie par les effets néfastes de la mondialisation. De plus en plus, la Différence fait peur, l’Autre nous effraie parce qu’il n’agit pas et ne pense pas comme nous. On se referme sur soi-même, on refuse l’échange avec l’Autre et finalement on aboutit à la stigmatisation de la différence en mettant dos à dos des systèmes de valeurs incomparables, on oppose les cultures jusqu’à les écarteler. Il est vrai qu’il est plus facile de rejeter la différence plutôt que de chercher à la comprendre et à l’accepter. En effet, chercher à comprendre la différence, c’est bouleverser ses repères et accepter de remettre en cause son propre système de valeurs.


De fait, quel peut être l’intérêt de la francophonie ? Pour moi, la francophonie, c’est l’échange, comme j’en témoigne dans mes différents ouvrages. C’est la découverte de l’Autre par le lien de la langue française, c’est ce qui me permet de mieux le comprendre, tant dans ses paroles que dans ses actes. Je vais vous donner un exemple tout simple : l’utilisation différentielle du terme « Merci ». En France, nous habituons nos enfants à dire merci pour chaque geste. Merci maman, merci papa, merci monsieur, etc. Au Liban, l’utilisation de terme « Merci » est plutôt réservée à la personne étrangère, comme une marque de respect. Dans le cercle familial réduit, il est très peu utilisé. Faut-il en conclure que les Français sont plus polis que les Libanais ? Evidemment non, il s’agit seulement d’un usage différentiel des mots au service d’une culture spécifique.


Pour contrer cet écartèlement des cultures, nous avons besoin d’un pont entre Orient et Occident. A ce titre, la francophonie constitue très sûrement un axe d’échange essentiel. En tant qu’écrivaine française et francophone transposée, je suis un élément de ce pont et je m’efforce avec mes livres de prôner l’ouverture vers l’Autre. Mais vous-mêmes, en tant qu’étudiantes francophones, vous êtes, mesdemoiselles, les acteurs essentiels de cet échange. Par l’ouverture de votre esprit à la culture française, vous avez le devoir de jouer, VOUS, le rôle de traducteur, entre votre culture d’origine et celle que vous apprenez à découvrir à travers vos études littéraires. Nous ne pouvons laisser le monde aller ainsi à la dérive, nous devons tous réagir. L’opposition entre les cultures est stérile, il ne permet pas d’avancer, ni à titre individuel et encore moins à l’échelle d’une société. Il faut réapprendre à accepter la différence, à la comprendre. Et je vous le répète, vous êtes, de par votre formation francophone, les principaux acteurs de ce défi mondial.


En guise de conclusion, j’ai choisi de livrer à votre réflexion une citation de mon dernier roman, « Le trésor du temple de Melqart ». Je cite :


            Dès que l’homme parvient à dépasser le MOI pour devenir NOUS, oubliant ses      rancœurs  et ses différences, il s’élève chaque jour un peu plus vers l’infini.


Je vous demande de réfléchir activement à ces quelques mots et d’interroger votre cœur sur la nécessité à œuvrer ensemble pour un monde meilleur.


Je vous remercie de votre attention et je suis à présent à votre disposition pour d’éventuelles questions.


 






[1] La Phénicie correspond à peu près au Liban actuel, débordant légèrement sur la Syrie au nord et sur Israël au sud.

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