Grégoire Haddad, un humanisme incompris
NOTE DE LECTURE
Michel HAJJI GEORGIOU | OLJ
« C’est pour donner un exemple suprême à l’homme qui lutte, pour lui montrer qu’il ne faut pas qu’il redoute la souffrance, la tentation et la mort, parce que tout cela peut être vaincu et a déjà été vaincu, que ce livre a été écrit. (…) Ce livre n’est pas une biographie, c’est une confession de l’homme qui lutte. En le publiant j’ai accompli mon devoir. Le devoir d’un homme qui s’est beaucoup battu, qui a été beaucoup tourmenté dans sa vie et qui a beaucoup espéré. Je suis sûr que tout homme libre qui lira ce livre plein d’amour aimera plus que jamais, mieux que jamais, le Christ. »
La lecture de l’excellente biographie de mon collègue Michel Touma consacrée à « l’évêque laïc et rebelle » Grégoire Haddad n’est pas sans immédiatement évoquer le souvenir de la préface de La Dernière tentation du Christ du grand Nikos Kazantzakis. Après la rédaction de ce chef-d’œuvre, en 1953, qui explore le thème de la double substance du Christ, Kazantzakis avait subi les foudres de l’Église orthodoxe, qui l’avait aussitôt anathémisé, puis du Vatican, qui avait mis son ouvrage à l’index. Après son décès de la grippe asiatique à Fribourg en 1957, le corps de Kazantzakis, rapatrié à Héraklion, en Grèce, sera interdit d’inhumation par le clergé grec au cimetière de la ville. Son corps reposera dans les remparts de la ville, hors de la Cité, comme les réprouvés. Qu’il ait été profondément croyant et qu’il ait défendu de son vivant les valeurs chrétiennes, au point d’être nommé Prix international de la Paix en 1950, n’aura absolument pas ébranlé le féroce dogmatisme de l’Église.
Le parallèle entre Kazantzakis et Grégoire Haddad est frappant. Les deux hommes ont voulu, chacun à sa manière, dans son domaine de prédilection et à la même époque, tenter l’aventure de la sécularisation et d’un humanisme combinant l’exigence de la justice sociale et le respect de la dignité humaine et de la personne humaine comme finalité ultime. Les deux se sont heurtés, dans leur entreprise, aux mêmes démons : l’intolérance, le monolithisme, les privilèges, le conservatisme, la peur du changement et des idées nouvelles.
C’est évidemment ce combat pour la « libération du Christ » et de l’homme que Michel Touma raconte si bien dans son ouvrage, avec un style plus limpide et épuré que jamais et un travail de recherche minutieux caractéristique du perfectionnisme tatillon de chimiste dont il fait preuve depuis plus de trente ans dans son métier à L’Orient-Le Jour. L’on comprend bien d’ailleurs que M. Touma ait choisi, pour son premier essai, de se pencher sur une personnalité aussi atypique et rebelle que celle de Mgr Haddad, quand bien même les nouvelles générations ignorent presque tout de « l’évêque rouge », du débat passionné que ses écrits suscitèrent à la veille de la guerre de 1975, et surtout de son action révolutionnaire au niveau de l’organisation du Mouvement social sous le mandat Chéhab. Car c’est aussi sur sa propre expérience de jeune activiste social que Michel Touma se penche de nouveau, avec des décennies de recul et un esprit souvent critique, pour rendre compte d’un rêve de modernisation, de libération et d’humanisation fils de son époque, le même que celui de Camilo Torrès, Raoul Gomez Garcia, José Antonio Echeverria, Juan Garcia Elorrio, Dom Helder Camara (d’ailleurs cité dans l’ouvrage), Mgr Cesare Zacchi ou encore Mgr Felipe Santiago Benitez. Un rêve de révolution, sinon d’une véritable évolution, loin des angoisses identitaires, des identités meurtrières et des meurtres entre frères, qui reste plus que jamais d’actualité, malgré la patine du temps, paradoxe à part.
Sans doute le plus grand mérite de Michel Touma – outre bien sûr celui de faire connaître ou de faire redécouvrir au grand public celui qui restera sans conteste dans les annales comme l’Abbé Pierre local – reste sa remarquable restitution du contexte historique du phénomène Grégoire Haddad. Si bien que l’on en vient à se demander si l’évêque, qui cherchait à conspuer la violence, réduire les différences et les injustices sociales et rapprocher les hommes, tous les hommes, sans aucune distinction, par des actes concrets de dialogue, n’a finalement pas été un bouc émissaire sacrifié en 1974 sur l’autel d’une classe politique, d’une population et d’un clergé déjà habités par le démon du populisme, de l’identitarisme, de la violence, de la guerre et du mimétisme.
Dieu, comme hier ressemble à aujourd’hui ; comme le Liban ressemble à une malédiction !
La lecture de l’excellente biographie de mon collègue Michel Touma consacrée à « l’évêque laïc et rebelle » Grégoire Haddad n’est pas sans immédiatement évoquer le souvenir de la préface de La Dernière tentation du Christ du grand Nikos Kazantzakis. Après la rédaction de ce chef-d’œuvre, en 1953, qui explore le thème de la double substance du Christ, Kazantzakis avait subi les foudres de l’Église orthodoxe, qui l’avait aussitôt anathémisé, puis du Vatican, qui avait mis son ouvrage à l’index. Après son décès de la grippe asiatique à Fribourg en 1957, le corps de Kazantzakis, rapatrié à Héraklion, en Grèce, sera interdit d’inhumation par le clergé grec au cimetière de la ville. Son corps reposera dans les remparts de la ville, hors de la Cité, comme les réprouvés. Qu’il ait été profondément croyant et qu’il ait défendu de son vivant les valeurs chrétiennes, au point d’être nommé Prix international de la Paix en 1950, n’aura absolument pas ébranlé le féroce dogmatisme de l’Église.
Le parallèle entre Kazantzakis et Grégoire Haddad est frappant. Les deux hommes ont voulu, chacun à sa manière, dans son domaine de prédilection et à la même époque, tenter l’aventure de la sécularisation et d’un humanisme combinant l’exigence de la justice sociale et le respect de la dignité humaine et de la personne humaine comme finalité ultime. Les deux se sont heurtés, dans leur entreprise, aux mêmes démons : l’intolérance, le monolithisme, les privilèges, le conservatisme, la peur du changement et des idées nouvelles.
C’est évidemment ce combat pour la « libération du Christ » et de l’homme que Michel Touma raconte si bien dans son ouvrage, avec un style plus limpide et épuré que jamais et un travail de recherche minutieux caractéristique du perfectionnisme tatillon de chimiste dont il fait preuve depuis plus de trente ans dans son métier à L’Orient-Le Jour. L’on comprend bien d’ailleurs que M. Touma ait choisi, pour son premier essai, de se pencher sur une personnalité aussi atypique et rebelle que celle de Mgr Haddad, quand bien même les nouvelles générations ignorent presque tout de « l’évêque rouge », du débat passionné que ses écrits suscitèrent à la veille de la guerre de 1975, et surtout de son action révolutionnaire au niveau de l’organisation du Mouvement social sous le mandat Chéhab. Car c’est aussi sur sa propre expérience de jeune activiste social que Michel Touma se penche de nouveau, avec des décennies de recul et un esprit souvent critique, pour rendre compte d’un rêve de modernisation, de libération et d’humanisation fils de son époque, le même que celui de Camilo Torrès, Raoul Gomez Garcia, José Antonio Echeverria, Juan Garcia Elorrio, Dom Helder Camara (d’ailleurs cité dans l’ouvrage), Mgr Cesare Zacchi ou encore Mgr Felipe Santiago Benitez. Un rêve de révolution, sinon d’une véritable évolution, loin des angoisses identitaires, des identités meurtrières et des meurtres entre frères, qui reste plus que jamais d’actualité, malgré la patine du temps, paradoxe à part.
Sans doute le plus grand mérite de Michel Touma – outre bien sûr celui de faire connaître ou de faire redécouvrir au grand public celui qui restera sans conteste dans les annales comme l’Abbé Pierre local – reste sa remarquable restitution du contexte historique du phénomène Grégoire Haddad. Si bien que l’on en vient à se demander si l’évêque, qui cherchait à conspuer la violence, réduire les différences et les injustices sociales et rapprocher les hommes, tous les hommes, sans aucune distinction, par des actes concrets de dialogue, n’a finalement pas été un bouc émissaire sacrifié en 1974 sur l’autel d’une classe politique, d’une population et d’un clergé déjà habités par le démon du populisme, de l’identitarisme, de la violence, de la guerre et du mimétisme.
Dieu, comme hier ressemble à aujourd’hui ; comme le Liban ressemble à une malédiction !